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Tribune Libre* : Une politique de gauche, en France ?

Par Serge Marquis
dimanche 26 juin 2005
par  Serge Marquis
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Tribune Libre* : Une politique de gauche, en France ?

Par Serge Marquis

Ainsi, si l’on en croit Dominique Boullier dans “Restaurer le collectif à gauche” (Libération,10 juin 2005), la gauche en miettes pourrait être reconstruite en déjouant trois ennemis : le protectionnisme, le souverainisme, le nationalisme... tout cela pour“dépasser la gauche productiviste, nationale et républicaine” et en faire marcher une autre, celle-là sur ces deux jambes, grâce à l’écologie politique et l’altermondialisation. Après le “ Retirer ce Chevènement de nos têtes ” de B.-H.L, “ La France moisie ” de P. Sollers et autres élucubrations issues de la pensée snob, peu intéressée par la désaffection du monde du travail envers la gauche et la politique en général, voici une nouvelle version biaisée et parfaitement idéologique des problèmes. Avant d’en appeler ensuite “ à la démocratie participative et la société civile qui ne parviennent pas à exister ”. Nous rejouant son De Villepin (“ Il n’y a pas d’affrontement entre le libéral et le social mais entre l’immobilisme et l’action ”), avec des concepts à la mode, ce monsieur n’a décidément pas compris.

Le 29 mai, le peuple a exprimé un vote de classe. Un vote qui ne s’identifie pas aux formations de la gauche d’alternance. Au clivage classique gauche/droite, s’en est imposé un autre : un affrontement entre les victimes de la mondialisation et les profiteurs de la mondialisation. Premiers visés : la réalité de la mondialisation, c’est-à-dire le capitalisme financier qui a pris tout le pouvoir au sein de la bourgeoisie, les politiciens et technocrates qui se sont mis à son service, leurs relais médiatiques ; mais aussi ces couches sociales qui existent en mangeant dans la main des puissants, les « li-li », les « bobos », et tous les sociaux-libéraux qui ont aidé à détourner les aspirations autogestionnaires de mai-68 dans le capitalisme de notre époque, permettant à celui-ci de prendre un élan nouveau grâce à une idéologie renouvelée. Dates-clés : le recentrage de la CFDT, en 1977, la politique de rigueur en 1983, l’opération « libé » de “ Vive la Crise ! ”, l’éclatement de la FEN jusqu’au soutien au Plan Juppé de 1995, les discours droits-de-l’hommisme, le soutien aux guerres yougoslaves et celles du Golfe, les ralliements attendus des people à l’européïsme, etc. Exit, donc, les 11 millions de grévistes de mai-juin 68 ! Et l’idéal d’un socialisme libéré des caricatures staliniennes et mollettistes.

Cette récupération réussie de la critique “ artistique ” (autonomie et créativité), que la culture “ deuxième gauche ”, pour le dire vite, faisait du capitalisme, a aidé ce dernier à se fluidifier, comme l’ont bien expliqué L. Boltanski et A. Chiapello (Le Nouvel Esprit du capitalisme, 2000), donnant le sentiment général qu’il est impossible d’échapper à la globalisation - l’économisme devenant notamment l’alpha et l’oméga de la pensée humaine. Avec le référendum, c’est à cette pensée unique que les tenants du non ont commencé sérieusement de s’attaquer.

A présent, ceux-ci doivent admettre que 25 années de résignation libérale ou social-libérale, avec son cortège de chômage, de précarité, de souffrances humaines, de mal vivre ont amoindri considérablement leur capacité de résistance au quotidien ; la course de vitesse entre les dérégulations et le mouvement social se poursuit, au détriment de ce dernier.

Aucune bataille, sinon homéopathique, faisant agir les peuples et non leurs pseudo-représentants “ européens ” (57 % d’abstentions en France, plus de 80 % en Pologne), n’a pu être gagnée sur l’échiquier européen. La vérité éclate : il n’existe pas de peuple européen ! Tous l’ont compris dans le refus de la guerre d’invasion contre l’Irak, une tâche indélébile sur l’ « idée européenne ». Donc, a fortiori, pas de citoyenneté européenne. Les marches européennes contre le chômage n’ont guère mobilisé plus que les réseaux militants. Les rassemblements transfrontières de Porto Alegre, Seatle, Rome, etc., pour utiles qu’ils peuvent être, s’ils ont fait rêvé, ou s’ils ont permis une prise de conscience du processus capitaliste de la globalisation du monde, n’ont pas fait avancer d’un pouce la résolution des problèmes des Français, ni d’aucun peuple du monde.

Tout ce qui a fait poids s’est produit ailleurs, sur les territoires nationaux. En Argentine, quand le peuple a crié : « Qu’ils partent ! ». Pour la France, dans une période récente, rappelons la grève des transports de novembre-décembre 1995, permettant deux ans après à la gauche d’accéder à Matignon. Puis, la tentative de reconstituer le pacte républicain ayant échoué, c’est le score de Le Pen le 21 avril 2002 et la forte montée de listes d’ordinaire marginales (extrême gauche, Chevènement, De Villiers). Enfin, la réélection de Chirac par défaut, suivie de mobilisations sociales insatisfaites, conduit au désaveu de ce dernier lors des trois élections de 2004.

Troisième constat : les résistances sociales, plutôt du secteur public, et électorales ont aidé à détrôner symboliquement les élites mais non à trouver une expression politique commune. Cela constituera l’enjeu de l’élection de 2007, pour ceux qui resteront mobilisés... Les autres, la tête dans le guidon, pourraient reprendre le chemin de l’abstention. Et contribuer à perpétrer le système du pareil au même.

C’est pourquoi prendre la responsabilité de distraire les forces de la gauche vers l’établissement d’une autre Constitution... européenne ! est un contre-sens historique. D’ailleurs, les chiffres réels de la mobilisation des partisans du “ non européen de gauche ” le montrent. Le peuple n’adhère pas aux pseudos projets dit alternatifs, émanant de contre-experts qui prétendent parvenir à une société radieuse dans le magma euromondialiste, alors que « l’Europe » voit éclater, brusquement et brutalement, sa crise identitaire à force d’avoir été masquée.

Il était sidérant, au soir de la victoire du non, que sur les plateaux télé ce soit De Villiers et Le Pen qui appellent à la démission de Chirac et à la dissolution de l’Assemblée nationale (puisque “ nos ” représentants avaient voté pour la ratification à 90 % !) tandis que les porte-parole du non de gauche, embarrassés, en restaient à des généralités verbeuses. Dominique Boulier, qui souhaiterait “ associer aussi bien les salariés et les précaires, les consommateurs et les usagers ” dans “ des réseaux de lutte sur certains thèmes précis, avec des objectifs gagnables contre le productivisme et contre le capitalisme financier ” devrait s’engager en premier lieu à réclamer la fin du présidentialisme (le caractère oligarchique de notre société ” commence par là) et une élection législative à la proportionnelle (dont ne nous parlent plus Dominique Voynet et consorts), qui met près de 35 % des électeurs hors de la citoyenneté, sans parler des abstentionnistes aussi nombreux. Pardonnez du peu ! Tony Blair, dont on nous vante les mérites pour son troisième mandat, obtient, chez lui, la majorité absolue de la Chambre avec 27 % des inscrits. Nous pourrions décliner les exemples à l’échelle de chacun des pays européens, et la question européenne commence là ! C’est-à-dire au niveau de la démocratie représentative, et non de sa négation.

La moralisation de la vie économique deviendrait davantage possible, la débureaucratisation des entreprises publiques aussi, de même que pourrait être posé à une grande échelle (France : 62 millions habitants) la définition de projets socialement utiles pour la population et écologiquement viables. Et envisager la possibilité d’une euro-coopération ou en direction des pays avec lesquels la France partage une histoire commune.

C’est ce même décalage de la gauche critique (appelons-là ainsi) avec la réalité qui a conduit l’écologie politique, de son côté, à théoriser l’idée de l’Europe des régions, faisant l’impasse sur les rapports de force réels, ouvrant la boîte de pandore, tels des apprentis sorciers jetant en pâture des portions de territoires convoitées par les prédateurs financiers. La simple décentralisation actuelle met les régions dans l’incapacité de remplir leurs fonctions de solidarité. Il est bien pauvre ensuite d’évoquer l’absence de “ société civile ”... “ dont les tenants, qui ne songent qu’à l’arrivée de celle-là au pouvoir, ignorent que cette société civile n’est que la société officielle ” (Karl Marx).

En vérité, par-delà le radicalisme du discours des uns ou la séduction éthérée (mais une pratique parfaitement technocratique comme on a pu le voir) des autres, il y a un grand absent dans ce désir de recomposition. Le socialisme ! Est-il, en effet, possible de conduire une politique de gauche en France ? Voilà la seule question qui vaille ! Pour ce qui les concerne, la réponse paraît plutôt négative, c’est pourquoi la gauche n’en a pas fini avec la crise. Et le peuple du non, qui n’a jamais oublié qu’en politique la seule question qui vaille est la question du pouvoir, doit courageusement s’attaquer à la lutte contre l’idéologie des couches sociales qui s’identifient à la mondialisation, même s’ils la voudraient heureuse.

Serge Marquis est membre du comité de rédaction de la revue Utopie critique

* Les tribunes libres n’engagent pas la rédaction de La Gauche !


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