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Un huron en période pré et post électorale
Par Diane Le Béguec

Voilà un texte voltairien, qui se passe en Ile de france, mais eût pu se passer ailleurs (ndlr)

Toute personne qui se reconnaîtra dans cette histoire
Assumera pleinement le fait de s’être reconnu, seul,
en celui-ci, plutôt qu’en celui-là.

Un Huron, fidèle à la tradition de ses pères, décida de découvrir la France. C’était en février 2004. Il commençait ainsi son journal : « Le désintérêt des français pour les élections de leurs représentants apparaît de plus en plus comme une malheureuse fatalité. Tous annoncent une abstention massive des électeurs, chacun se lamente et appréhende des résultats toujours plus imprévisibles. Sans doute est-ce cette terrible inquiétude qui rend les hommes que je croise si tristes. Ah ! Quand un peuple s’éloigne et que les élus ne savent plus convaincre… » Il s’arrêta : à moins que ?

L’intrépide huron devait savoir. C’est pourquoi il s’aventura dans les cent mètres alentours d’un Conseil régional de gauche, non pas qu’il préférait le rouge au bleu mais qu’il préférait le bleu au rouge, et que les rouges, ô surprise, étaient en bleu. Il lui fut alors donné de voir un phénomène étrange. Cela ressemblait un peu, au premier abord, à ces Courses que lui avait si bien décrites son père. De petits hommes très élégants pour certains, totalement débraillés pour d’autres (il apprit bientôt que, à quelques exceptions près - ceux que l’on appelait « les Verts » et encore, même pas tous – cela ne constituait pas un véritable signe d’appartenance), armés de calculettes, pariaient sur ce qu’ils appelaient des « places charnières ». Bientôt le Huron comprit que c’était là le jeu du pauvre. Les autres, ceux qui jouaient aux « places éligibles » et, surtout, aux « têtes de liste », étaient plus inaccessibles. Il devait se contenter, comme pour les Grands Prix, de regarder les courses de ce PMU électoral devant un petit écran. Cela tombait bien, il y avait une télévision dans le « Bar-Tabac-Brasserie de l’Hôtel de Région » .

« On ne me donne que la 15ème place dans le département de *** » s’inquiétait une voix. « Il paraît qu’en cas de victoire, j’aurais peut-être une chance ». Est-ce par crainte de le décevoir ? Ce fut pourtant d’un ton mielleux que son interlocuteur lui répondit que c’était gagnable… « à moins qu’il n’y ait fusion entre les deux tours.. ». « Fusion, mais avec qui ? Ils ne feront pas 5 % ». Ces moments d’échanges véritables et de discussions franches entre ces êtres étaient trop rares. Accoudé au comptoir, le Huron les voyait courir sans cesse. Pourtant, ils ne semblaient aller nulle part. Il les vit, inquiets, qui cherchaient de quel quota ils pourraient relever – femme, beur, jeune, berbère, handicapé, assistant parlementaire, chargé de mission, courant machin, motion bidule, élu à recaser…– afin de s’imposer sur ces fichues listes. Intrigué par ces étranges litanies, le Huron interrogea un homme, d’un âge respectable, qui semblait totalement dépassé par les évènements : « mais mon pauvre ami, tout n’est plus que chabada, comment voulez-vous qu’on y arrive ? A moins d’être une jeune beurette manchote… ». Ils regardèrent ensemble tout ce petit monde qui virevoltait, qui tournait et se retournait, emportant une tête de liste (ah ! en voilà une) dans un tourbillon indécent. L’assistant du vieil élu, un petit maigre, sursauta : son portable sonnait pour la dix-septième fois apportant peut-être – sait-on jamais ? – la nouvelle tant attendue. Pour le vieux ou pour lui-même ? Le Huron n’osa pas demander… Il était, de toute façon, impossible de faire un déjeuner sérieux dans ces conditions. C’est ainsi que le précédent convive du Huron, ***, l’avait planté là, toutes les cinq secondes, la calculette dans une main, le téléphone dans l’autre, avant de daigner s’asseoir à nouveau, dans un silence entendu. Il savait pourtant bien – c’était *** avec, lui aussi, sa calculette qui le lui avait dit – : il n’avait aucune chance d’être en place éligible. Mais il est vrai qu’il fallait se méfier de cet autre candidat à la candidature. Son parti négociait dur, disait-on. Et l’on s’attendait à des recommandations du national. « Du quoi ? » « Peu importe, de toute façon, la Fédé a déjà tranché ».

C’est en parlant avec *** que le Huron avait compris que quand ses nouveaux amis étaient plusieurs, ils pouvaient brandir une terrible menace, à savoir constituer une nouvelle liste, à eux tout seuls. Le grand-père du Huron l’avait prévenu avant qu’il ne parte : « Tu verras, les français croient dur comme fer en trois choses : à la réalité des voix entendues par Jeanne d’Arc, à l’inviolabilité de la Ligne Maginot et à cette curieuse légende selon laquelle les éléphants auraient peur des souris ». Bien sûr, ces candidats à la candidature se défendaient d’être si puérils : « Ce n’est pas que, en constituant une liste, nous pouvons les battre, oh non, ni même les faire perdre – quelle idée saugrenue – mais c’est que, sans nous, ils risquent de ne pas gagner. C’est la calculette qui le dit » Certaines nobles âmes choisissaient même d’y aller seules, « en autonomes » disaient-elles, non pas pour faire une quelconque pression, ô grand jamais ! , mais pour sauvegarder leur identité propre, espérant que leur message serait compris par delà leurs petite sphère d’influence habituelle. Enfin, d’après ce que constatait le Huron, c’était surtout « la base » qui voulait cela. Les autres réfléchissaient : « Nous devons renouveler les pratiques politiques » s’aventura une jolie gaugauche, elle-même stupéfaite de l’incroyable originalité de sa proposition, « Et pourquoi notre liste ne serait-elle pas d’initiative citoyenne ? », « Bon… lequel part en citoyen ? ».

Peu importait après tout. Le Huron tentait de se rassurer : les listes allaient être bientôt proclamées, elles seraient constituées de bric et de broc, pleines de gens de valeurs, de grands destins à venir et… de tous les autres. Il n’avait croisé que ces derniers, bien sûr, mais c’est que les premiers n’aimaient pas le « Bar-Tabac-Brasserie de l’Hôtel de Région », voilà tout. En se prononçant pour telle ou telle liste, les citoyens allaient voter pour les idées et les projets portés, ils allaient manifester cet enthousiasme délirant qui ne les quittait jamais, et allaient désigner, d’un même et beau mouvement, ceux qui seraient chargés de les représenter dans leur superbe diversité.

Une femme était là, assise au fond du bar, la tête lourdement penchée sur son café froid. Le Huron s’approcha, bêtement, comme ça, juste parce qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu personne de calme. Elle le regarda, mélancolique. Qu’est-ce qu’il lui passa par la tête ? Le Huron, qui n’avait jamais su parler aux femmes, se mit à lui raconter ses études et cette époque où il s’enflammait dans des défenses passionnées de… la représentation proportionnelle ! Chacun ses lubies. Il se mit alors à évoquer la mémoire du proportionnaliste John Stuart Mill, ce si touchant radical anglais, tombé amoureux fou d’une socialiste déjà mariée, et qui, pour elle, et par elle, fut le premier et véritable féministe digne de ce nom. Sa voix tremblait en saluant la mémoire du Parlement belge qui, dès 1899, adopta ce régime électoral nouveau. « Voter pour des idées et non pas pour un homme. Garantir une juste et sage représentation plutôt que succomber à la dérive plébiscitaire. Ne pas se décider sur un projet et une question que l’on oubliera le lendemain mais choisir parmi toutes les listes celle dont on partage le plus justement les convictions profondes. Penser avec Hans Kelsen les conséquences juridiques d’une telle option, sourire des délires institutionnels d’un Moseï Ostrogorski et regretter que ses ligues n’existent que dans nos rêves »…

Elle le regarda, atterrée. « Ils m’avaient promis que je serai en éligible, c’était acté. Mais voilà, je suis une femme et ces salauds, ils n’ont jamais avalé qu’aux législatives, ce soit moi qui soit partie, soit disant à cause de la parité. Ils disent que je les ai fait perdre, que j’ai pas les reins assez solides. C’était pas ma faute, c’est pas ma faute. Ils ont voulu ma peau. Ces petits cons, ils se sont acharné. Et mes soi-disant amis, ces salauds, il m’ont lâchée. Après l’accord avec les ***, ils m’on fait dégringoler de 6 places ». Il y a des moments où l’on se trouve idiot. Ce fut le cas du Huron : avec ses belles idées, il avait transformé cette si touchante mélancolie en véritable hystérie.

Epilogue pour nos amis proportionalistes.

Une histoire que le Huron connaissait bien – son arrière-grand-père qui était allé en Angleterre la lui avait racontée - aurait dû, pourtant, lui mettre la puce à l’oreille. John Stuart Mill lui-même, ardent défenseur du fameux et si alambiqué système de Hare, se présenta un jour devant les électeurs. Seul, sans rien d’autre que ses convictions profondes et son talent de touche-à-tout, il leur dit ceci : « élisez-moi pour ce que je suis et non pas pour ce que vous voulez , car je défendrai mes idées, et jamais vos intérêts ». Fallait-il donc qu’ils soient anglais ? Les électeurs l’envoyèrent à la Chambre des Communes. L’honnête MP tint parole. Surpris d’une telle forfaiture, les électeurs refusèrent de le réélire.

On peut saluer la candide noblesse de l’élève de Bentham et comprendre l’égarement de ses électeurs qui choisirent finalement de le renvoyer à son cabinet de travail. Le Huron avait toujours vu, dans cette affreuse défaite, la preuve de l’ingratitude du vote majoritaire. Il comprenait à présent que deux autres enseignements pouvaient en être tirés : d’abord, même l’auteur du Système de logique avait pu être élu par des électeurs au scrutin majoritaire, qui plus est uninominal à un tour, et ensuite, ce n’est qu’après l’avoir vu à l’œuvre que les électeurs avaient préféré renvoyer Mill le jeune à ses chères études. Avaient-ils eu tort ? Le talent d’essayiste, de philosophe, de logicien, d’économiste en faisait-il un bon élu ? Surtout, à trop se focaliser sur ce prétendu talent gâché, le Huron se rendait compte à présent qu’il avait oublié cette fâcheuse tendance de tout un chacun à se prendre pour un Stuart Mill incompris des électeurs. Combien sont-ils ces prétendus héros méconnus de la proportionnelle qui, toujours seconds sur la liste, n’ont jamais vu un électeur de leur vie et les croient trop idiots pour reconnaître la force de leur génie ou, à tout le moins, et ce qui est fort différent, leur utilité politique ?

Le Huron, parvenu à ce stade de réflexion, prit peur. Sa pensée frisait l’antiparlementarisme de base. Il se regarda dans la glace : était-il devenu démagogue ?

Puis son regard tomba sur la pile de livres qu’il avait rassemblés en vue de son voyage. Il y avait là le livre d’un homme, ***, constamment réélu aux élections législatives, quelque soit le mode de scrutin et ce, depuis 1978. Aux dernières élections – scrutin uninominal à deux tours – du haut de ses 68,1 %, il n’avait pas même senti le vent de la défaite qui avait emporté nombre de ses amis. Et pourtant, on le disait trop sérieux, trop rigide, trop éloigné des préoccupations des électeurs et cherchant désespérément à s’en faire aimer. Se faire aimer ? Quelle idée saugrenue ! Car, à côté, cet autre livre écrit par *** toujours dynamique, allant par monts et par vaux, aux quatre coins du monde, caracolant depuis des années dans les sondages, personnalité politique parmi les préférées des français, paraît-il, et pourtant, royalement ignoré des électeurs…

Faut-il donc ne jamais croire ce que l’on dit ? Combien de vrais politiques sacrifiés par le scrutin majoritaire pour de faux talents imposés par la proportionnelle ? Le Huron fronça les sourcils puis, miracle de l’intégration à la française, sortit sa calculette.
Quelques semaines plus tard, toujours aussi curieux, le huron voulut constater si, malgré tout, une fois élu, les heureux impétrants ne se montreraient pas plus enclins à respecter les règles de la démocratie qui les avaient fait tels, autrement dit « l’intérêt général ». Qu’elle ne fut sa déception lorsqu’il constata qu’à l’expérience et la solidité des valeurs, on préférait encore et toujours l’impatience de la jeunesse ambitieuse et l’indigence de la pensée. Il vit des élus, tellement fidèles à leurs idées pourtant, qui ne purent résister à l’attrait de l’intrigue, surtout lorsqu’ils comprirent que, à la clef y était accroché une voiture, une demi-secrétaire et le titre ô combien envié de chef de meute d’une formation politique.

Le huron s’éloigna enfin, et partit ainsi pleurer sur le sort des ses hommes et de ses femmes, qui se brisent au mur de la soi-disant expérience d’expert, qui devant leurs écrans d’ordinateurs et du haut de leurs calculettes savent mieux que quiconque avoir raison contre le reste. Le Huron, tellement déçu de son voyage, s’en alla voir sous d’autres cieux, si l’air y était plus pur. S’arrêtant sur la Grève, une Place plus chaleureuse, il trouva matière à réfléchir sur cet adage : « le plus grand ennui c’est d’exister sans faire » et ne sachant plus à quel saint se vouer souhaita beaucoup de courage à tous ces judas, qui, d’ailleurs, se cachent parfois sous le nom d’autres apôtres.