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LE PEUPLE INATTENDU
par André Bellon et Anne-Cécile Robert

Le 21 avril 2002, au soir du premier tour de l'élection présidentielle, la France émergea de sa torpeur électorale avec une bonne gueule de bois. Tout avait, pourtant, été bien organisé : le scénario était bien monté, une sorte de resucée de Monsieur Smith au Sénat.

Le casting du second tour était parfait, les acteurs prévus excellents, Jacques Chirac dans le rôle de l'homme politique de droite tactique, habile, mais cerné par les affaires, Lionel Jospin dans celui de l'homme politique de gauche sérieux, travailleur et vertueux, mais quelque peu coincé. Le débat télévisé du second tour était programmé et quasiment écrit; France Info avait annoncé que, sur ses ondes, Chirac parlerait le lundi, Jospin le mardi, et ainsi de suite.

Les sondages étaient effectués par anticipation: cette fois, promis juré, ce serait sérieux et, ô suspense, ce serait serré. Les deux acteurs principaux rongeaient leur frein depuis des semaines devant les figures imposées du premier tour qui les mettaient pour quelque temps au même niveau que les candidats subalternes, même s'ils admettaient qu'il faut bien défouler l'électorat pendant le premier tour pour mieux le mobiliser et le rassembler au deuxième.

L'histoire a parfois des bizarreries et, tel l'iceberg venant heurter le Titanic qu'il aurait pourtant dû savoir insubmersible, surgit soudain du brouillard électoral un acteur vraiment inattendu, mal identifié ou introuvable, si l'on en croit le sociologue Pierre Rosanvallon ; cet acteur, appelons-le par son nom : le peuple. Méprisant toutes les vérités établies, toute raison et tous les avis, pourtant sages, des experts politiques, le peuple vota peu, exprima beaucoup de votes blancs, dispersa ses voix malgré les risques qu'on lui avait pourtant bien rabâchés, bref fit preuve d'une très grande irresponsabilité. Il vota peu pour les deux candidats sérieux, trop pour le candidat d'extrême droite, se déplaça de la gauche vers l'extrême gauche et, conséquence de ces comportements absurdes, élimina dès le premier tour le candidat le plus capable, chouchou de la classe dirigeante, des experts responsables et de la plupart des médias. Irresponsable, vous dit-on ! Ce mot, on allait l'entendre souvent.

La démocratie n'a jamais été parfaite ; mais une société vit aussi en fonction des valeurs dont elle se dote ; si, dans le passé, l'humanisme, la foi en l'homme, la confiance dans le peuple ont été les référents, force est de constater qu'aujourd'hui notre société s'est fixée comme points de mire des non-valeurs telles que l'argent, la concurrence, l'apparence, la fascination pour la technique. La démocratie est une recherche permanente, une construction de tous les instants.

La nouveauté de notre époque est précisément d'abandonner subrepticement cet objectif et de relégitimer des formes aristocratiques de gouvernement. Contre le risque totalitaire représenté par l'extrême droite, on ne saurait accepter la dérive des classes dirigeantes, liées par un consensus idéologique à la fois antidémocratique et antisocial, contre l'expression populaire.

C'est une véritable crise de civilisation qui se creuse sous nos yeux : elle met en question les fondements et la légitimité de l'exercice du pouvoir. Cette époque - qui retourne vers le Moyen Âge en TGV - a, de fait, un caractère réactionnaire. Tout particulièrement, elle rejette toute pensée qui contesterait les présupposés qui la fondent ; la gauche officielle, tout particulièrement, recherche sa légitimation dans son travail face à un monde complexe plutôt que dans les batailles idéologiques ou dans les affrontements qu'exigerait pourtant la pensée aujourd'hui.

L'évolution vers ce qu'on appelle la mondialisation, les règles qui s'imposent dans l'espace européen et, plus généralement, les lois du capitalisme transforment la pratique politique en gestion des contraintes; accepter un vrai débat d'idées reviendrait à affronter les forces dominantes, chemin dans lequel aucun dirigeant ne veut apparemment s'engager. Il est bien plus simple de s'adosser à un discours moral et de remplacer la volonté politique par des recours aux tribunaux.

En fait, la gestion des affaires publiques apparaît aujourd'hui comme un aimable fantôme; les responsables politiques refusent de s'adosser à l'histoire que, d'ailleurs, ils ignorent et qu'ils cherchent à effacer de la mémoire collective ; leur vision des règles communes est plus proche de la pensée du Moyen âge que de l'humanisme; la nature sociale, la nature humaine ne sont alors pas à construire, mais à découvrir ; les décisions sont ainsi plus issues de la perception des contraintes, et donc des intérêts collectifs définis a priori, que des aspirations des mandants. Nombre d'analystes respectables critiquent ainsi aujourd'hui ceux qui s'insurgent contre le déclin programmé de la démocratie ; à leurs yeux, le peuple est, dans ses profondeurs, inconscient des défis, des exigences de l'évolution et du " progrès ". Il est donc disqualifié.

Il est plus qu'urgent de dénoncer clairement cette régression vers des pratiques d'ancien Régime et de réagir en posant à nouveau les questions de principe qui touchent aux fondements de la démocratie. Seul cet effort permettra, par ailleurs, de déterminer la valeur libératrice des nouvelles pratiques civiques. Le peuple et les citoyens ne sauraient être méprisés, manipulés, pris pour des demeurés analphabètes, sans que la démocratie soit méprisée elle aussi. Le suffrage universel doit rester l'outil fondamental de détermination des décisions de la vie publique. Car il n'existe pas d'autre principe sur lequel une civilisation humaniste puisse se fonder. La rupture avec l'ordre dominant ne peut se faire qu'au nom de la souveraineté populaire.



André Bellon est ancien parlementaire. Anne-Cécile Robert est universitaire.