PAS DE COMPASSION POUR LES CRIMES ET DELITS DITS PASSIONNELS, EN REALITE POSSESSIONNELS
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Samedi 1er avril 2006, à Meaux, Rinku Pavy, une jeune femme de 29 ans, hébergée par SOS Femmes de Meaux parce que victime de violences conjugales, a été tuée par son mari. Il l’a défenestrée alors qu’elle était venue « déposer » leur jeune fils pour l’exercice du droit de visite.
Pourquoi est-ce Rinku Pavy qui a déposé son fils ? Qui a autorisé, voire ordonné, cette visite éminemment périlleuse ? Alors que le moment le plus dangereux pour les femmes victimes de violence est celui où elles se séparent de leur conjoint, pourquoi se trouvait-elle à la merci de la violence de son compagnon ?
Les chiffres sont impressionnants, ils ne prennent en compte que les faits commis sur des femmes majeures, par conjoint ou concubin : 211 décès en 2003 liés à des violences au sein du couple. Dans 80% des cas, ce sont des hommes qui ont tué leur compagne. Parmi les femmes qui ont tué leur mari, 47% subissaient des violences. 31% des crimes conjugaux sont liés à la séparation.
La « qualité » de conjoint ou concubin est reconnue comme une circonstance aggravante, depuis 1994. Mais les crimes dits passionnels, en réalité possessionnels, sont encore considérés comme excusables ! Dans l’inconscient collectif persiste une légitimation du pouvoir masculin sur les femmes, avec la violence comme instrument. Non, les femmes ne sont pas des objets sexuels à la disposition de tout mâle frustré.
L’avocat de l’assassin de Sohane a tenté de faire croire que Jamal Derrar était un amoureux éconduit, espérant des circonstances atténuantes pour son client. La peine prononcée correspond à l’acte commis. Répressive pour le criminel et son complice, elle est un signe fort pour ceux qui croient pouvoir impunément exercer des violences envers les femmes et les jeunes filles. Les « amis » de l’assassin, réunis par leur désir de régenter leur « territoire », se disent « dégoûtés » par le verdict. Ce sont les actes de barbarie qui provoquent le dégoût, comme le viol collectif commis à Mulhouse jeudi 6 avril.
L’arsenal législatif a été renforcé dans la loi de prévention et de répression des violences au sein du couple (4 avril 2006) par des mesures réclamées par les associations féministes. En particulier l’aggravation des peines est étendue aux anciens conjoints, concubins ou pacsés, ou l’éloignement contrôlé du conjoint violent.
Lors du vote à l’unanimité, le président de la commission des lois, a rappelé que la prévention ne se traite pas par des décrets, mais par des politiques publiques au quotidien de tous les services concernés, à mener aux côtés des associations. Il a souligné les effets positifs des politiques menées par certains parquets, par exemple à Douai.
Le 6 avril, à Lyon, Regards de Femmes a invité Luc Frémiot, Procureur à Douai, pour présenter la politique pénale mise en place dans sa juridiction. Auparavant, Avocat général auprès de la Cour d’Assises, il avait constaté que les femmes assassinées avaient demandé, vainement, à plusieurs reprises, l’aide des institutions publiques, mais ni les violences subies, ni les menaces précises n’avaient été prises en compte. S’il n’y a pas de profil-type du conjoint violent ou de la femme victime, les manoeuvres perverses qui ont conduit à l’emprise psychologique par le compagnon, sont toujours les mêmes, le mode opératoire identique.
Quel que soit leur milieu social, toutes racontent la même histoire. Comme l’a dit l’une d’entre elles, lors du débat, je peux commencer à décrire ce que j’ai subi, une deuxième peut poursuivre, une autre terminer. Toutes disent le silence, l’isolement, l’ignorance des moyens de réagir, la difficulté à déposer plainte, contre le père de leurs enfants, contre l’homme qu’elles aiment ou ont aimé.
Elles parlent toutes de l’évènement déclencheur qui leur a permis d’agir, de briser le silence. Une violence de trop, une discussion avec une amie, un article dans les journaux, une émission à la télévision, un débat organisé par une association.
L’importance de ces réunions est évidente. Nous avons, comme chaque fois, reçu un grand nombre d’appels téléphoniques de personnes informées de cette réunion, qui ne peuvent pas y assister, mais qui parlent de ce qu’elles subissent. Toutes réclament une prise en charge de leur compagnon et comprendre ce qui le conduit à un comportement violent.
Luc Frémiot, devenu procureur à Douai, a répondu à cette attente. Le traitement de l’auteur des violences conjugales a été l’axe de l’action publique concernant la répression et la prévention des violences conjugales.
Pour cela, dès la première déclaration à la police ou à la gendarmerie, des actions conjuguées et en synergie des institutions publiques et associations se mettent en place pour éloigner le conjoint violent, hébergé dans une structure d’accueil de SDF, avec mise à l’épreuve, aide et contrôle. La victime est prise en charge par une association d’aide aux victimes.
Depuis 3 ans, sans moyens financiers supplémentaires, 380 personnes ont subi ces mesures, 6 seulement ont récidivé. Dans les situations tragiques où pressions, menaces et intimidations familiales dominent, la réponse exige l’affirmation de l’autorité de l’Etat républicain. Démonstration est faite que le Ministère public, le Parquet autrement dit le procureur, protecteur de l’ordre public et des citoyens les plus faibles, peuvent faire reculer la violence et la barbarie.
D’autres parquets, dans des villes plus ou moins importantes, mettent en place des dispositions analogues, en partenariat avec police, gendarmerie, médecins, associations d’aide aux victimes, centres d’hébergement, etc.
La question, d’évidence, posée par les femmes victimes de violences conjugales et les personnes concernées par l’aide et le suivi : pourquoi ces mesures ne sont-elles pas appliquées par tous les parquets ?
Michèle Vianès anime le collectif Regards de Femmes (www.regardsdefemmes.com)
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