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COMMENT SÉCURISER L’EMPLOI DANS UN CADRE DE CO-DÉVELOPPEMENT DURABLE

dimanche 6 septembre 2009
par  Gérard Bélorgey
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La valeur à privilégier c’est, à mon sens, de reconstruire une société de l’emploi. Car celui-ci est la première dignité, le premier pouvoir d’achat, le moyen d’une démocratie nourrie de moins d’amertumes, de violences et de passions. Allant de pair avec l’emploi, le niveau de vie dépend comme lui des moyens d’échapper à la pression sur les rémunérations, à la destruction des garanties sociales, aux insuffisances des services publics qui sont les résultats des concurrences mondiales par les prix. Parallèlement, il faut bien comprendre que les causes profondes de nos graves inégalités sont que ces inégalités répondent aux besoins même de l’économie libérale internationale de marché, car elles sont les carburants de la compétition et de celui de l’investissement (cf.infra)

Il faut donc rechercher des conditions à réunir pour atteindre sinon un « plein », du moins un « bon » emploi. L’emploi marchand dépend avant tout de l’existence de marchés rentables, ce qui est certes le but des prospections et études permanentes des entreprises. Mais il y a un intérêt collectif à ce que soit clarifié, à grands traits du moins, ce qui est pour notre collectivité activités d’avenir rentables et autres activités problématiques, pour entraîner une prise de conscience de tous sur les contraintes économiques et les réponses possibles.

A la base , pour identifier ces différents marchés et leurs conséquences en matière d’emploi et préparer l’application des meilleurs moyens de la collectivité d’exploiter les bons créneaux et de s’adapter avec réalisme au constat qu’il y en a d’incertains et de mauvais , il faut obtenir la conduite d’une étude prospective comparant les coûts français et ceux des autres pays du monde et les flux qui en résultent en matière d’échanges de marchandises et de services et en matière de localisations d’activités (la tâche d’un nouveau léger commissariat au plan, en quelque sorte qui devrait se substituer aux très insuffisants et souvent dogmatiques CAS et CEPI ).

Le simple fait de conduire et publier une telle étude serait une première opération vérité sur des sujets qui ne sont appréciés que de manière très floue et souvent même occultés : il n’y pas de données disponibles permettant aujourd’hui de synthèse autre qu’approximative sur ces questions. L’objectif concret est d’identifier, établir et faire connaître (ce qui peut créer un choc salutaire) les secteurs ou investir (ou mieux organiser) pour sauvegarder ou créer de l’emploi peut être rentable, ceux qui sont en courte survie, ceux qui peuvent être sauvés ou promus et à quelles conditions, ce qui fera naturellement apparaître, comparativement aux offres étrangères, des questions de prix de revient et de coût du travail montrant quels sont les choix : ou baisser les rémunérations et autres charges, ou sécuriser une part de ces emplois par recours à des mesures de protection.

Dans la batterie des moyens protectionnistes, il faut chercher à préférer ceux qui favorisent un « co-développement durable ».

Ce concept est à redéfinir comme le modèle dans lequel il peut y avoir le maintien de chances de non régression dans un pays relativement socialement avancé comme le nôtre et le soutien à des chances de progrès des niveaux de vie et de développement durable chez les compétiteurs que sont des pays émergents et chez les abandonnés qui sont dans les pauvretés et inégalités sans fin. Il faut aussi replacer ce concept dans la question très difficile de savoir si et comment (cf. A. Lebeau, « l’enfermement planétaire ») la planète peut supporter, à l’échéance du siècle, au delà de 9 milliards d’habitants dont les modes de vie convergeraient selon les habitudes de consommation des pays avancés, vers le haut, ou s’il faut imaginer que les populations du monde doivent et puissent se rallier à un modèle plus frugal ? Sans essai de clarification, la compétition ne peut être que plus radicale et les ressacs plus violents entre pays avancés, pays émergents et populations prises dans des trappes de pauvreté.

Quelle batterie de moyens pour un co-développement équitable ? Il faut d’abord énumérer des techniques, puis voir dans un second temps comment faire avec l’Europe.

S’agissant des techniques, il faut accepter le principe qu’il y a lieu à un différentiel de charges lorsqu’un produit étroitement comparable est obtenu dans une low cost country avec des productivités comparables au nôtres, mais avec un coût de revient (tenant aux facteurs travail, fiscalité, monnaie, environnement, etc.) imbattable. Mais il faut négocier l’affectation de ce différentiel de charges, de ce « droit compensateur » qui peut être ou un droit (un « tariff ») perçu en tant que droit de douanes, ou un droit (un « duty ») perçu au profit de fonds revenant d’une manière ou d’une autre aux pays d’origine, comme compensation de coûts du travail et de coûts sociaux particulièrement bas. Etant observé que les classes dirigeantes de ceux-ci sont hostiles à un système de « social taxes » et n’accepteraient sans doute pas de recevoir des compléments salariaux par des ressources ayant augmenté leurs prix de vente terminaux aux consommateurs européens (et ayant donc réduit leur pugnacité commerciale et les profits de ces classes dirigeantes) et que dès lors on peut aussi négocier qu’ils instituent directement des taxes à l’export (dont la contre-valeur serait recyclée dans leurs économies), l’affectation concerté des produits des duties pourrait sans doute être plus particulièrement recherchée pour une part, comme contributions à l’amélioration de leurs services publics et sociaux pour une part, en garantie de recettes (cf infra) pour des Émergents exportateurs ayant besoin d’autant de devises, mais pour moins de volume de ventes et pour une autre part, comme concours à leur prise en compte des défenses de l’environnement, dès lors qu’ils intégreraient ces contraintes à leurs productions, notamment pour les émissions de CO2 (on peut d’ailleurs alors leur faire valoir que le coût en serait terminalement supporté par les consommateurs des pays vers lesquels ils exportent). A défaut les droits différentiels ne leur seraient pas ristournés mais affectés à des fonds mondiaux. Par ailleurs, il faut faire progresser l’hypothèse de cette taxe carbone sur les produits obtenus au prix d’émission de C02 et qui serait d’application mondiale, mais de fait s’appliquerait aux seuls pays n’ayant pas pris les dispositions protectrices requises en la matière.

Dans un dispositif d’un certain rétablissement de la « préférence communautaire », il ne faut pas exclure des contingents vendus aux enchères aux fourbisseurs ou importateurs les plus offrants. L’une des tâches du commissariat à l’analyse prospective et stratégique suggéré ci-dessus étant de proposer dans quels secteurs agricoles, halieutiques, industriels ou de services, ces contingents seraient vitaux. Les contre-valeur des enchères seraient de même affectées à l’un des trois emplois visés précédemment) une régulation sécuritaire (état des navires, qualification des équipages, anticipation sur les effets de pénurie sur le prix du fuel) du transport mondial (y compris par des fonds de concours contre la piraterie) peut aussi aboutir à des augmentations salutaires de prix réduisant les avantages de s’approvisionner à l’extérieur.

Vis à vis des pays émergents, la stratégie à conduire – au demeurant différenciée selon les cas et devant aboutir à des accords cadres bilatéraux entre puissances - est complexe, mais peut avoir des bases claires : ces pays pourraient-ils méconnaître qu’il n’est pas de leur intérêt de voir s’effondrer les économies et les capacités de consommation de leurs clients ? A courte vue, non ; mais à moyen terme ce n’est pas exclu : dans la compétition entre puissances dont les rejets de pollutions et les consommations totales d’eau, d’énergie, de nourriture vont se heurter au mur écologique planétaire, des Émergents pourraient avoir tentation de se faire place contre les anciennes nations « pourvues » : d’accepter donc le déclin des commandes de celles-ci allant de pair avec celui des économies occidentales et d’en profiter pour mobiliser à leur profit les ressources disponibles (libres capacités de rejet des pollutions, liées aux consommations industrielles et alimentaires de protéines , accaparement (à l’image d’ailleurs de ce qu’à fait l’Occident) des sources de minerais, d’énergie,etc.) en développant très fort et vite leurs propres marchés intérieurs. Mais n’est ce pas, par ailleurs, ce qui est en définitive souhaitable pour notre propre salut ? Ce développement du marché intérieur des Émergents ne pouvant provenir, au delà de la croissance démographique, que de l’augmentation de leurs rémunérations directes et indirectes, c’est ainsi que se rééquilibreront à moyen terme les prix de revient (tout en obligeant tous à traiter la question des garanties à prendre pour un développement durable et frugal). Il faut spéculer qu’il n’y aura pas de schéma tranché, tant la globalisation a croisé et mêlé les intérêts, mais qu’il faut surtout compter sur les fortes incitations que l’on peut employer sur les Émergents pour les inciter à des politiques raisonnables, sans trop compter sur la prise en compte que d’eux-mêmes ils pourraient faire de nos propres problèmes.

Ces incitations reposent, à mon sens, sur le fait qu’ils ont besoin au moins en soudure (pour une - ou deux ? - décennies) de nous vendre des produits à un niveau produisant pour eux des recettes comparables au moins à celles qu’ils en tirent aujourd’hui pour continuer à pouvoir acheter chez nous ce dont ils ont besoin. Mais pour obtenir ces recettes, ils n’ont pas besoin de vendre autant s’ils vendent plus cher. Le deal et donc d’accepter de leur payer plus cher un volume d’export restant suffisamment raisonnable et ciblé pour ne pas détruire certaines de nos propres productions ; et les « duties » ristournés peuvent jouer un certain rôle dans ces montages ; le problème le plus difficile étant de maîtriser les comportements d’achats de nos propres firmes (ce à quoi doivent répondre les tariffs et les contingents). De surcroît en assurant ces recettes aux Émergents, on assure du même coup le plan de charges (et les emplois) de celles de nos activités qui produisent les biens qu’ils achètent et on sort du faux débat sur les risques de représailles en cas d’une part de protectionnisme, puisque l’on met en oeuvre un protectionnisme sinon « altruiste », du moins « gagnant/gagnant » qui veut garantir les intérêts de nos fournisseurs (et par ailleurs clients).

Construire clairement, du moins au niveau des principes, un tel deal et le replacer dans les conditions dont l’observation pour la viabilité de la planète est nécessaire pour tous pourrait passer par le niveau d’une concertation internationale (d’un échelon adéquat à positionner entre ONU, OMC, BIT, G20) fin que soit recherché une sorte de pacte directeur de co-développement durable entre les États du monde.

A l’arrivée, il faut donc accepter le principe que certains produits seraient, par les effets des dispositifs sus visés ainsi vendus plus cher aux consommateurs européens qui doivent choisir entre un « pouvoir d’achat » par la casse des prix et des emplois nationaux (autrement dit un pouvoir d’achat pour une société ouverte mais assistée) et un pouvoir d’achat obtenu par des emplois sécurisés moyennant des prix plus élevés pour certains produits. Voilà qui impose et justifie parallèlement, en compensation, une politique du pouvoir d’achat populaire à obtenir par une fiscalité indirecte socialement sélective et par une redistribution plus équitable entre hauts et bas revenus (en tenant compte des patrimoines), afin de garantir des minima sociaux. Son financement (en dépenses fiscales ou budgétaires) pourrait être gagé sur des économies en matière de dépenses chômage si celui régresse, et pourrait être également trouvé dans une part des produits de « tariffs » lorsqu’il y aurait lieu à ceux-ci.

Les effets d’un tel ensemble de régulations physiques seraient sensibles sur les localisations d’activités, puisque des localisations dans les « low cost countries » perdraient une part de leur intérêt dès lors que les produits qui y seraient obtenus ne pourraient rentrer dans les Pays Avancés à leurs prix de revient sortie production, mais à leurs prix de revient assortis des différentiels à payer et/ou ans la limite de contingents quantitatifs.

L’ensemble des indications ci-dessus ne traite pas des régulations financières et bancaires devant contribuer à l’éradication de l’« économie casino », comme à un mode opératoire plus satisfaisant du financement des économies réelles. Les unes ont été présentées par les tenants d’un capitalisme moralisé et domestiqué et on ne peut que souscrire à leur esprit et contenus. Un certain nombre d’autres visent plus loin : à une part de contrôle des mouvements de capitaux, en particulier à court terme, de manière liée à des disciplines relatives aux liquidités, placements, ratios bancaires. Je ne m’estime pas compétent pour les présenter et je renvoie aux préconisations de Jacques Sapir, in « la fin de l’eurobilatéralisme ».

Et l’Europe ?

Bien entendu, toutes les mesures concernant le commerce international sont de la compétence européenne (à la majorité qualifiée du Conseil des ministres) et gérées en fait par la commission. Mais ce n’est pas seulement pour ces raisons juridiques que la compétence est européenne. Dès lors qu’il y a un périmètre européen de libre circulation interne des produits, il faut un système uniforme d’accès à ce périmètre sauf à créer des distorsions de trafics et de concurrence qu’il n’est pas impossible, mais qu’il est très compliqué alors, de gérer.

Si l’on confronte cette compétence européenne et la batterie (cf. supra) de mesures de protection et de négociations internationales pour un co-développement durable, on mesure quelle révolution devrait intervenir dans les esprits européens et dans l’appareil de l’UE, formés au dogme du libre échange, pour que ce soit possible, en impliquant une intervention convaincue de tous les acteurs, en particulier dans les négociations internationales à conduire sur la base de rapports de forces.

C’est néanmoins la transformation de l’Europe qu’il faut réussir en faisant de celle qui existe une critique beaucoup plus radicale que celles qui sont conduites lorsqu’elles se contentent de demander une Europe plus sociale en mesurant bien, en effet, qu’il ne sert à rien de vouloir promouvoir une Europe sociale si l’on ne s’en donne pas les moyens qui sont moins budgétaires et juridiques que stratégiques.

Il doit être clair que l’ « Europe sociale » est impossible si, d’une part , les rémunérations, droits sociaux et services publics n’y sont pas protégées contre les moins disant sociaux, fiscaux, environnementaux, si bien que même une disposition générale sur un salaire minimum européen aurait autant d’effets contre-productifs dans la concurrence mondiale, si celle-ci n’est pas maîtrisée, que d’effets régulateurs en interne (ou jouent d’ailleurs toute une autre série de facteurs que le coût direct du travail) et si, d’autre part, les inégalités continuent à constituer dans le périmètre européen les carburants indispensables tant de la compétition que de l’investissement. Rappelons en effet des choses élémentaires : on peut guère lutter contre les inégalités dans une économie libérale de marché essentiellement fondée sur l’appropriation privée, sur l’attente d’une régulations automatique, sur la liberté des échanges commerciaux allant de pair avec celle des localisations d’activités à travers le monde.

Les inégalités sont en effet les indispensables carburants d’un tel système : c’est grâce aux inégalités que la machine économique libérale peut fonctionner en pesant sur les coûts salariaux et en dégageant de la capacité d’investissement autorisée par les propensions possibles à épargner des meilleurs revenus. Si on fait une politique plus égalitaire, on diminue la compétitivité dans la concurrence mondiale et on diminue la capacité d’investissement par le marché financier. C’est pourquoi cette politique plus égalitaire des revenus n’est possible qu’à deux conditions majeures : des protections contre les concurrences des moins disants sociaux, fiscaux, environnementaux, en matière de services publics et une part raisonnable de relais-substitution de l’investissement privé par des financement publics (obtenus par une épargne fiscale). L’esprit support d’une Europe sociale, l’esprit qu’il faudrait faire partager c’est donc qu’elle demande une part de son investissement au financement public et fiscal se substituant à une fraction de financement privé, ce qui ne saurait s’obtenir magiquement, mais ce qui ne peut être bâti peu à peu que sur un réel consentement en ce sens, en particulier par une réflexion de la gauche européenne sur ce point, et qu’elle échappe aux excès de la compétition mondiale et des compétitions internes.

A ce second titre, les moyens doivent donc d’abord, vis à vis de l’extérieur, comporter la sécurisation économique nécessaire par la part indispensable de « préférence communautaire » et/ou de « co-développement durable » négocié dans l’esprit indiqué ci dessus, aboutissant à remplacer le libre échange par le juste échange pour pouvoir avoir un niveau social correct sans perdre les emplois. Ces moyens doivent aussi comporter la faculté de résoudre les distorsions internes de l’Union entre ses pays avancés et ses low cost countries. Or les classes au pouvoir de ces dernières ne se plieraient pas aisément à des propositions d’alignement de minima sociaux ou fiscaux d’autant que cette question est biaisée par le fait que les distorsions en cause sont aussi de l’intérêt de nos firmes d’avoir des lieux préférables à celui du noyau d’Europe pour localiser leurs activités et faire pression sur leurs salariés.

Là encore, c’est en négociant de manière volontariste, en exerçant les pressions utiles, que l’on pourrait peut-être obtenir des changements. Il faut subordonner l’apport des fonds structurels, et plus généralement d’autres financements internationaux (BE, FMI) à des progrès vers ces minima. Il faut appliquer un régime de taxe carbone significative partout en Europe. Il faut faire observer aux nouveaux pays de l’élargissement que, compte tenu de leurs types et niveaux de prix de productions, encore dans l’agriculture et l’industrie « classique », ils peuvent être les premiers intéressés à une certaine « préférence européenne » pour ces produits, mais que cette préférence ne peut raisonnablement être demandée à leur profit que si eux-mêmes ne font pas du « dumping » interne. A défaut, de la même manière qu’il y a eu des « montants compensatoires » lorsqu’il y avait des distorsions monétaires (avant l’euro), il faut imaginer des « montants compensatoires » qui corrigeraient en hausse certains prix émanant des nouveaux pays de l’est européen lorsqu’il seraient constatés comme le résultat de composants anormalement bas des prix de revient.

Si tout cela ne marche pas, et en se donnant comme terme ultime aux recherches consensuelles dans le grand périmètre, la fin de la mandature du Parlement européen élu prochainement et auquel devrait être confié par un sommet des chefs d’État une mission de proposer les voies et moyens d’une réelle harmonisation économique et sociale européenne, il faudra concevoir un périmètre cohérent européen plus restreint qui passerait de simples partenariats avec les États n’en acceptant pas des règles du jeu monétaires, fiscales et sociales minimales contraignantes. Une autre révolution, par rapport à la mode l’élargissement, à laquelle on n’échappera peut-être pas.

Se sécuriser, au nom de l’emploi et avec lui comme ultime critère de décision, contre les excès du libre-échange peut prendre du temps et, avec les incertitudes, on pourrait « mourir guéris ». C’est pourquoi dans cette attente, il y a des leviers nationaux qui sont parfaitement utilisables. On en citera deux.

Un moyen - national - d’agir sur les localisations d’activités n’est pas d’interdire les délocalisations tant, hélas, elles répondent à la logique économique mondiale qui, plus encore que la recherche de la maximisation du profit, contraint les entreprises à baisser leurs rémunérations, à demander des allégements fiscaux, à se localiser ailleurs, mais de négocier des engagements d’activités sur le sol national, moyennant notamment des concours financiers. Dès lors qu’une firme accepte ce deal, ce qui suppose qu’elle l’a jugé économiquement viable, il faut être extrêmement ferme à l’encontre des sophismes qui disent de telles mesures contraires au droit, notamment européen, de la concurrence (cf. annexe 3) et si raison n’est pas entendue, aller jusqu’à la crise.

L’autre est une « TVA sociale » bien construite, question qu’il faut regarder en dehors du contexte électoral où elle était venue. Des ressources inchangées pour les régimes de garanties sociales et un niveau de prix inchangé pour le consommateur peuvent, en ce qui concerne certains produits d’assiette, être obtenus en remplaçant des cotisations sociales par des points supplémentaires de TVA sur ces produits. Cette compensation aurait pour effet que des produits nationaux qui bénéficieraient de l’effet d’allégement de cotisations sociales soient obtenus moins chers que les mêmes produits importés qui supporteraient la TVA augmentée. C’est une rare mesure protectionniste à portée d’une décision nationale (l’UE n’est pas compétente pour contrôler les augmentations de TVA et d’ailleurs l’Allemagne et les Pays-Bas l’ont fait avec succès). Pour verrouiller positivement le système (qui est parfaitement compatible avec une fiscalité indirecte socialement sélective), il faut pouvoir s’assurer que la production répercutera les allégements de cotisations sociales et que la distribution ne ferait pas de péréquation entre produits localement obtenus et produits importés. La véritable difficulté est d’ailleurs du côté de la distribution qui apprécie trop la libre importation et les différentiels de profit qu’elle lui assure et qui est certainement assez hostile à ce dispositif dont l’idée (en conséquence ?) paraît être enterrée.

En conclusion, la récession est là, en tant que produit inéluctable du système libre échangiste et inégalitaire mondial ; il ne faut pas confondre les sources de la crise (le dérèglement bancaire par les conséquences en chaîne de l’affaire des subprimes et par la dérégulation financière ayant autorisé l’« économie casino » mondiale) et les causes profondes de la dépression : les chutes des solvabilités populaires par suite de la déflation salariale et du désemploi, combinées au détournement de l’épargne et de l’investissement vers les meilleures rentabilités des placements dans les low cost countries et, plus encore, dans l’économie casino.

L’économie de marché qu’il faut accepter est de reconnaître le rôle irremplaçable des entreprises privées et de l’initiative de chacun, mais de tempérer cette économie de marché de trois manières en écartant l’idée dangereuse de refonder l’économie de marché sur ses trois inacceptables piliers s’ils sont exclusifs. L’économie de marché, dans une acception pleinement libérale, c’est en effet trois choses : l’ appropriation privée de quasi tous les moyens de production de biens et de services, la croyance en la régulation automatique de l’offre et de la demande, de l’investissement, des prix, et des échanges internationaux et des localisations d’activités à travers le monde se formant sans qu’il soit tenu compte, pour des produits et des activités comparables, des composantes de leurs prix de revient respectifs.

Or, on ne peut accepter, dans leur intégralité, aucune de ces trois données. L’appropriation privée doit s’entendre comme la liberté d’entreprendre, qui est nécessaire et fructueuse, avec ses moyens propres, mais doit aller de pair avec une dose d’économie mixte répondant à plusieurs besoins (celui de services publics de base classiques et régaliens, celui de services publics industriels et commerciaux pour les grands besoins collectifs qui doivent être satisfaits par les principes d’égalité et d’accessibilité, celui d’une certaine participation de la puissance publique au financement des investissements matériels et immatériels) productifs dans le secteur des productions et services marchands.

La seule régulation automatique est incertaine, aléatoire et malsaine. La recherche des équilibres offre/demande appelle manifestement des politiques publiques précises en matière d’investissement, due au besoin d’une part d’investissement financé collectivement pour limiter l’effet d’inégalité qu’entraîne obligatoirement le financement par le seul marché, c’est à dire par les seuls détenteurs de moyens de revenus et d’épargne pour le faire, assuré par exemple par une Banque Nationale d’Investissement. En matière de formation des prix , il est évident que des contrôles devant faire respecter la concurrence, comme il le faut, par la distribution vis à vis des producteurs et des consommateurs sont absolument indispensables

Enfin, au plan international, le libre échange entre pays très hétérogènes ne peut servir les intérêts à long terme ni des pays avancés, ni des pays émergents, et encore moins des pays dans les trappes de pauvreté et d’inégalités , ni permettre l’observation des conditions d’un développement durable ne rencontrant pas le mur écologique . En conséquence, je préconise, à ce stade, sans que la question puisse être épuisée, au nom de notre emploi et des équilibres mondiaux, les correctifs développés dans la présente note. Mais ceci implique une révolution du mode pensée et du mode opératoire de l’Union européenne qui permettrait d’engager les travaux précis et les négociations délicates nécessaires.

Avant tout, quatre démarches méthodologiques sont donc à retenir. L’une consiste à obtenir une étude sérieuse sur les perspectives d’activités françaises rentables replacées dans un cadre européen et mondial ; la deuxième est qu’au niveau d’une concertation internationale (d’un échelon adéquat à rechercher entre ONU, OMC, BIT, G20), soit élaboré une sorte de pacte directeur de co-développement durable entre les États du monde ; la troisième est que le nouveau Parlement européen soit saisi (par une conférence des chefs d’États de l’UE ?) de la mission d’avoir à définir, sous trois ans, les voies et moyens d’une cohérence économique, sociale, de services publics et de protection environnementale à l’échelle de l’ Union ; la quatrième, qui intéresse particulièrement les formations politiques de progrès, serait qu’elles réfléchissent de concert sur les conditions fondamentales de réduction des inégalités.

Post Scriptum : Critique des objections à des mesures de protections et précautions

Un premier aspect de la question est de savoir jusqu’où et si les objections faites à des hypothèses de protections commerciales diverses sont pertinentes. On ne traitera pas ici du bilan que représente la libéralisation des échanges pour les pays en développement mais de l’appréciation que l’on peut tenter du point de vue de nos propres intérêts. A ce titre, si l’on recense les forces, les intérêts et les arguments qui soutiennent le libre échange, on y trouve particulièrement les stratégies de combat, de profit et de concurrence des firmes qui y trouvent un moyen de pression sur les rémunérations et demandes sociales et contre la fiscalité française, la faculté de délocalisations et de réimportations des produits obtenus dans les pays « low cost » des approvisionnements en composants moins chers que si ceux-ci étaient localement obtenus à nos prix de revient (d’où la part élevée des composants importés de nos fabrications aéronautiques et automobiles...) des approvisionnements qui seraient même souvent devenus indispensables, non substituables soit du fait de spécialisations, soit à raison de l’amaigrissement des tissus de sous-traitants nationaux (les effets de l’absence de régulations commerciales deviennent irréversibles et c’est bien d’ailleurs l’objet des tenants du libre-échange : nous rendre captifs de celui-ci car tributaires de fournisseurs externes auxquels on ne peut plus substituer des productions nationales).

Au titre de cette première série de facteurs, la mondialisation sans restrictions des échanges est présentée comme la condition même de notre compétitivité. Il est certain que des mesures de protection commerciale, avec les effets indirects forts de permettre une politique salariale positive et de désinciter à des délocalisations, auraient logiquement certaines conséquences d’augmentations de nos prix de ventes. Pour autant, il y aurait-il des risques de pertes sensibles de marchés externes (ce qui serait à voir cas par cas pour apprécier les protections pertinentes ou non sur des approvisionnements importés) alors que nous prétendons, par la qualité, être capable de jouer une concurrence internationale « hors prix » ? Des protections intelligentes n’ayant pas pour but de renchérir ce que nous ne produisons pas – ou hélas plus – des échanges, entre économies de productivités et de coûts de revient comparables, de produits très spécialisés n’auraient naturellement pas à être soumis à des dispositifs de régulation commerciale. Quant aux effets sur les prix internes, cf. infra.

Le raisonnement selon lequel des politiques de restriction des importations ne pourrait qu’entraîner des représailles (« on ne vendra plus d’Airbus », etc.), ce qui réduirait notre emploi, aggraverait la situation économique et créerait des tensions dangereuses pour la paix est une vue très sommaire qui néglige totalement le fait qu’une politique commerciale externe comportant certaines protections doit être négociée avec des contreparties aux tiers intéressés et que les ressorts fondamentaux des tensions mondiales ne sont plus, aujourd’hui, dans une certaine discipline des échanges, mais dans bien d’autres facteurs : la présence nécessaire dans ces contreparties de mécanismes ristournant des droits d’entrée aux pays vendeurs ou en affectant la contre valeur à des actions mondiales pour la préservation des ressources planétaires, garantissant en quelque sorte à ces vendeurs qu’ils peuvent gagner autant en vendant moins en volumes, de telle sorte qu’ils seraient à même de conserver leurs capacités d’achats de nos produits Mais c’est bien ce qui renvoie à une troisième importante question.

Par définition des protections aboutissent à renchérir les imports de biens de toute nature et, donc, de telles mesures seraient contraire non seulement au meilleur approvisionnement des entreprises, mais aussi à une politique du pouvoir d’achat populaire auquel bénéfice dans une certaine mesure l’importation à bas prix. Tenir ce raisonnement méconnaît que le premier pouvoir d’achat global, c’est l’emploi qui ne être sauvegardé que par certaines mesures de protection ; que sur la moyenne durée, la réduction de certaines imports devrait protéger et/ou engendrer des productions localement obtenues analogues avec, compte tenu des productivités, un bon rapport qualité/prix ; que tout ce qui protége coûte, sur le moment du moins, plus cher que de rester sans protection : ainsi tous les choix écologiques (sauf la frugalité) semblent-ils aussi commencer par « coûter » ou par diminuer des rentabilités ; que la contrepartie de mesures de protection (commerciales ou écologiques) qui augmenteraient les prix à la consommation devrait être dans le soutien de cette consommation populaire par d’autres mesures (minima sociaux, diminutions sélectives de TVA, redistribution fiscale) dont les coûts seraient certainement gagés par des économies sur le budget chômage dès lors que le désemploi diminuerait.

En fait, l’argument qui subsiste à l’encontre de protections commerciales sécurisant l’emploi est le double argument européen. Notre appartenance à l’UE interdit toute politique commerciale externe nationale propre et l’UE n’est pas disposée à concevoir des mesures de protection (même loin d’une « préférence communautaire » générale). Le ferait-elle qu’il resterait toute la question des distorsions de concurrence, du fait des très graves disparités internes. Ceci ne fait que souligner la nécessité absolue de sortir de l’impasse européenne actuelle, puisqu’il ne peut pas y avoir d’Europe sociale sans une autre stratégie économique européenne.

Le dernier argument contre la « tentation protectionniste » est de compter sur - « the best » - la coopération internationale, en la préférant notamment à une taxe carbone aux frontières de l’Europe pour résoudre les distorsions de concurrence entre ceux qui payent et ceux qui ne payent pas les efforts contre la pollution. Le « protectionnisme écologique » ne serait qu’un « second best ». Jusqu’à quand faudra-t-il attendre de voir que le premier ne fonctionne guère, parce que dans la compétition mondiale pour avoir des places trop rares au top niveau, pays émergents et firmes en délocalisation n’ont aucune raison de prendre à leur charge, sans y être contraints, des coûts qu’ils ne supportent pas aujourd’hui ? Cessons l’angélisme. Des droits d’entrée réaffectés à la lutte contre les pollutions permettraient au moins de faire un dosage raisonnable de ces coûts entre producteurs et consommateurs. Cessons de rêver.

Le second aspect de la question est de savoir quelles sont les postures qui peuvent exister au regard de la préconisation de mesures de protection et de précautions. La position orthodoxe, défendue imperturbablement par une bonne part de l’appareil du PS lui-même, c’est l’intégrisme du libre échange assorti de redistributions (du travail et de revenus) se voulant consolatrices (encore que partager le travail, c‘est d’abord se résigner à ce qu’il n’y en ait pas assez pour tous), mais étant surtout bien aléatoires sinon impossibles : la pleine concurrence mondiale porte plus, chez nous, aux régressions sociales qu’au progrès dans la résorption des inégalités ; sans une part de changement de stratégie économique, l’Europe sociale ne peut être qu’une illusion.

Une nouvelle fois, nous perdons donc notre temps à ne pas savoir prendre en compte que dans notre pays l’euro libéralisme n’est, comme le montre la situation de l’emploi, ni gagnant, ni majoritaire : s’il a une large part de tenants dans la coalition aux affaires, au modem, au Ps et chez les verts, par contre les abstentions, sa contestation au sein de toutes les gauches et par des droites identitaires expriment, en désordre mais avec force, la demande de voir intervenir des précautions légitimes et des protections ciblées. Loin de constituer des hypothèses « risibles », les unes comme les autres, dans un rapport de force certes difficile mais non immobile, sont des réponses attendues à des angoisses profondes alors que l’Europe occidentale est devant un problème de survie : poursuivra-t-elle, de manière suicidaire, dans une ouverture pilotée par l’inconscience ou l’angélisme, ou prendra-t-elle la mesure de ce qui la guette dès lors que beaucoup des changements ont déjà des effets négatifs irréversibles ?

La question clef est de savoir s’il peut être pertinent de majorer d’un coût d’entrée, par une modalité ou une autre, le prix de certains produits low cost dont l’importation enclenche la spirale des désemplois ici et des localisations ailleurs en compensant ce surcoût de prix parfois nécessaire pour ménager l’emploi (le premier pouvoir d’achat) pour les catégories de consommateurs les plus modestes et, moyennant contreparties assurées aux pays fournisseurs, sans perdre nos marchés chez ceux-ci. A cette question clef, les intégristes du protectionnisme répondent qu’il faut rétablir la préférence communautaire, et poser dans ces termes réussir un tel challenge apparaît bien improbable et les intégristes du libre échange répondent qu’il ne faut rien faire du tout, ni même rien regarder : ce refus absolu de considérer quoi que ce soit dans le sens de régulations commerciales, en comptant sur d’irréalistes régulations sociales, est la répétition d’un catéchisme économico-social qui a pourtant conduit la gauche de gouvernement à ses échecs dans les résultats en matière d’emploi marchand, ainsi qu’à des défaites électorales répétées depuis 2002.

Ceux qui cherchent à voir comment concilier notre emploi et les rapports de force du monde, estiment qu’il faut concevoir des mesures proportionnées et ensuite les promouvoir dans la négociation intra européenne et internationale : arriver donc à mettre en place des précautions et des protections ciblées ; sans bâtir un système protectionniste et sans promouvoir aucune religion étatiste, trouver les bon dosages négociables avec tous les partenaires.

Le blog de Gérard Bélorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


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