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Tribune : Municipales, et la suite

jeudi 13 août 2020
par  Jean-Pierre Boudine
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Selon moi, les résultats des élections municipales portent quelques leçons de la plus haute importance. Pour le dire d’abord en peu de mots : le succès des listes qui ont porté, d’une manière ou d’une autre, le triptyque : « Urgence sociale, urgence écologique, urgence démocratique », ouvre la voie possible à d’autres grands succès.

On peut minorer l’importance de ces résultats de plusieurs manières, la première étant l’importance de l’abstention. Jean-Luc Mélenchon a comparé la signification politique de l’abstention à celle du retrait de la Plèbe romaine sur l’Aventin lorsque, voici vingt cinq siècles, au cours d’une guerre (contre les Volsques), les gens du peuple retirent leur soutien aux riches et s’exilent volontairement hors des remparts. Ce rapprochement prête à sourire ! L’abstention peut difficilement passer pour une action volontaire et significative, contrairement au boycott. D’une part, les analystes attribuent ce haut niveau d’abstention à la peur de l’épidémie (de la même façon, il y a eu beaucoup moins d’embouteillages que d’habitude début juillet au moment du départ en vacances), d’autre part, dans la mesure où une partie de l’abstention pourrait avoir une signification politique, l’hypothèse la plus naturelle au vu des résultats conduit à penser que les électeurs qui auraient pu voter pour les candidats macroniens n’ont pas jugé urgent de se déplacer. Cela ne contredit pas, mais confirme les leçons du scrutin.

Une autre réserve que l’on peut entendre concerne les limites, les ambiguïtés des programmes des listes et de la confiance qu’on peut leur accorder. À cela je réponds : « Vous espériez quoi ? ». Ce qui a surgi dans ces élections, par exemple à Marseille, est tout à fait nouveau. On savait à quoi s’attendre (ou on aurait dû), quand on votait PCF en 1960, ou PS en 1990. Ce n’est pas le cas pour le phénomène actuel, il faut s’en accommoder car c’est précisément ce qui fait son importance.

Je me permets ici deux remarques concernant l’article de Jean-Luc Gonneau sur ces élections. D’une part, je ne reprends pas les mots « cuisine électorale », qui sont dépréciatifs, parce que je pense qu’en France et de nos jours, une victoire électorale est un passage obligé pour aller dans le sens des aspirations des masses populaires. Je prétends que les mouvements sociaux, si larges et profonds soient-ils, peuvent tout au plus ralentir ou reporter les offensives du camp de l’argent. La situation sera différente si une équipe portant les aspirations populaires arrive aux affaires. En défense, contre les offensives furieuses du Capital, la lutte des classes aura un rôle décisif : c’est ce qui a manqué en 1983 lors du « tournant de la rigueur ».

D’autre part, je ne partage pas l’idée que la France Insoumise aurait eu, lors de ces élections, telle ou telle politique. Sans statuts, sans congrès, sans dirigeants élus, la FI n’a, en tant que mouvement, aucune espèce de politique. Le pauvre Adrien Quatennens (capable et talentueux) n’a aucun moyen d’impulser une orientation, Jean-Luc Mélenchon ayant, en diverses occasions, pris des options politiques (très ouvertes ou très fermées) opposées.

Il faut souligner que la formule gagnante (réalisée suivant les cas de diverses manières) des listes « des trois urgences » a été l’agglomération de militants du PCF, de la FI, des Verts, de quelques restes du PS avec des assemblées populaires, le tout, le plus souvent, contre la direction EELV et contre Mélenchon. Ce dernier, par exemple, était opposé à la constitution du Printemps Marseillais, et s’y est rallié au second tour du bout des lèvres. Quand à Rubirola, elle a été « suspendue » de son parti, EELV…

Je conclus, pour ne pas être trop long. Si la gauche parvenait aux affaires, elle aurait devant elle des travaux d’Hercule. Il faut un grand plan de ré industrialisation dans une perspective écologique et de mutation énergétique. Il faut un grand plan de re définition de l’Agriculture, de la Pêche et de l’élevage avec les mêmes impératifs. Un plan pour la gestion de l’eau, l’assainissement des fleuves, des rivières, des littoraux, la gestion des forêts. Un grand plan logement. Ce sont là de grands travaux qui créeront des millions d’emplois mais nécessiteront d’immenses plans de formations. Il faut une grande réforme fiscale (pour laquelle un homme comme Thomas Piketty parait incontournable). Une grande réforme de l’état qui coûte beaucoup trop cher. Une réorientation de l’Armée exclusivement vers la défense (nous n’avons rien à faire au Mali), et la fin des ventes d’armes aux régimes criminels. Et par-dessus tout une réforme constitutionnelle faisant une place décisive aux Assemblées Populaires.

C’est beaucoup. Mais en toutes choses il faut considérer la notion de masse critique. Faire décoller une fusée pour l’envoyer dans l’espace, de manière à ce que son accélération dépasse 11km/s^2, c’est difficile et coûte cher. Mais à 10km/s^2, la fusée ne quittera pas l’attraction terrestre, et en dessous de 7km/s^2, elle va inéluctablement retomber. Les tâches d’un gouvernement de gauche doivent être discutées ainsi : le minimum pour ne pas être certain d’échouer. Aucun militant sérieux des « trois urgences » ne peut mettre en doute cette liste de tâches.

Le point suivant concerne la thèse de mon essai (1) : on ne peut pas, comme en 2012 ou en 2017, jouer naïvement le rôle que la cinquième République veut nous faire jouer : dégoter un génial Tribun et le suivre en masse. Ce procédé ne peut que reproduire la monarchie présidentielle et de ce fait, empêcher la mobilisation de ceux qui veulent tourner cette page : pensons aux Assemblées de Gilets Jaunes, et aux Assemblées des Assemblées. Selon moi, telle est la leçon des municipales, en particulier pour 2022. Il ne faut pas chercher un grand homme, mais constituer une équipe avec des hommes politiques de tous bords (Piolle, Ruffin, Quatennens, Roussel, Buffet, Maurel, Poutou…) et des personnalités (Piketty, Todd…) mettre cette équipe en avant et ne donner « Le nom pour le bulletin et pour le second tour » que comme un élément presque secondaire. Cette équipe s’activera sur tout le territoire non pas tellement en meetings qu’en interventions dans des Assemblées Populaires. Elle devra faire reculer l’abstention et le vote RN. Je ne dis pas que ce soit facile à faire, en particulier pour gérer la presse. Mais en réalité, c’est déjà dans l’air du temps.

(1) A paraître aux Editions A plus d’un titre : …Ni tribuns.

(Ndlr : le terme cuisine électorale devrait être rehaussé : un bon repas nécessite un bon cuisinier sachant marier des éléments différents pour les sublimer, une bonne campagne électorale nécessite le même genre de compétence avec des individus aux parcours différents. Par ailleurs, il est sans doute vrai que la France insoumise, intérieurement consciente de son état de faiblesse face à cette échéance, a du se résoudre à « faire avec ». Absence de politique, ou contingence du moment ? Comme disait opportunément le regretté philosophe contemporain Jean-Luc Delarue, ça se discute.)


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