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Peuple fiction (1/3)

dimanche 15 août 2021
par  Vincent Glenn
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Très cher Peuple Tu dois avoir les oreilles qui sifflent. Peut-être même es-tu devenu tout-à-fait sourd à force d’entendre tout le monde t’interpeler... pour t’encenser, t’engueuler, te diviniser, se réclamer de toi ou te réduire à un troupeau qu’il faut guider quelque part. Il faut dire que tu as été bien souvent réduit à ça... comme en 1914, entrainé vers l’abattoir de masse… dans cet « élan national » où comme rarement, on pouvait voir qu’il y avait peuple et peuple. Celui qui nourrissait les tranchées de son sang et celui des plus hauts donneurs d’ordre loin du front.

Cher peuple, toi qui accouche de tant de merveilles et de monstruosités. Que certains voudraient purifier. J’entends parfois clamer que tu as toujours raison, presque « par définition ». Personnellement, pourtant je ne te fais pas toujours confiance. Pardon pour cet avis anarcho-déviant, mais la plupart du temps, même si l’intelligence collective est une réalité aussi phénoménale qu’observable, j’écoute plus volontiers l’avis d’individus ou de petits groupes dissidents qui n’ont eu ni peur de penser, ni crainte de ne pas suivre la foule. Comme ceux qui ne suivaient pas, par exemple, quand il semblait « normal » de tondre les femmes parce qu’elles avaient couché avec des Allemands ; ou comme ces petites cellules, fortement minoritaires, qui s’opposaient aux nazis pendant l’occupation ; ou comme ceux qui ne se joignaient pas au lynchage des Noirs quand une partie du peuple américain y libérait ses terreurs. Oui, cher peuple, je m’adresse à toi parce que presque tout le monde invoque ta souveraineté tandis que je ne distingue pas bien ce que tu rassembles au sein de ma petite France de 2021. C’est encore moins clair si je considère mon Europe techno-désenchantée, ou même ma folle planète qui ne fait jamais de surplace tout en tournant sur elle-même. Peuple qui es-tu ? Rassembles-tu les seuls pauvres, les anti-bourgeois, les gens qui « descendent dans la rue » ? Te reconnait-on parmi les « premiers de corvées », es-tu formé par « ceux qui ne sont rien » ? Ou bien es-tu beaucoup plus large que ça, et dispersé comme jamais ?

Cher peuple, j’aimerais bien réussir à m’adresser à ce que tu as de sagesse et d’intelligence, qui représentent deux des nombreuses magies produites par les forces du vivant en général et par l’humain en particulier. Tu en possèdes une belle quantité, certes entre deux accès de démence imbécile. Et là, maintenant, j’aimerais que tu me guides, et que tu répondes à une question qui me hante depuis des années, dans mon propre pays : qui, dès lors que je t’observe divisé en tant de segments, de partis, de tendances, d’identités, d’églises, d’intérêts divergents, de politiciens financés par et pour des groupes privés, qui donc pourrait nous donner une vision un tant soit peu partagée, claire, imaginable, formulable, de l’intérêt commun ? Je veux dire une conception qui serait écoutée, décente ou juste enviable. Une proposition démarchandisée, vitale et désintéressée. Qui, dès lors que tu es traversé, à haute fréquence, par ces myriades de narrations contradictoires, pourrait tout de même sortir de tes rangs et dire ce qui forge l’intérêt général à haute et intelligible voix ? Qui Diable, qui Dieu, pourrait redonner consistance à ce qui semble devenir une abstraction quand seuls les intérêts privés sont immédiatement palpables ? A quoi servent donc les crèches quand on a pas d’enfant, sinon, peut-être remplir le mot solidarité d’un peu de consistance ? Comment les biens communs pourraient-ils devenir un puissant désir collectif lorsque tout est fait pour nous installer chacun derrière sa console, ses jeux, ses télé-réalités, ses groupes d’appartenance ?

A ce propos, et parce qu’il est bon d’aller vers tout ce qui déclenche l’hilarité, j’aimerais me pencher sur une sous-partie de toi-même qui semble appartenir au millénaire d’avant, je veux parler du « peuple de gauche ». Oui je sais bien que l’expression même a tendance à déclencher des fous rires chez les gouvernants actuels qui sont à la fois très cyniques et vraisemblablement lucides sur les rapports de force réellement existants. Je sais que chez certains militants sincères, le mot « gauche » fait plutôt pleurer, de rage, de honte, d’impuissance face à une notion qui ressemble à un sac de confettis l’aspect joyeux en moins. Mais passons, si je m’adresse à cette partie de toi-même, cher peuple de France, c’est parce que rien n’interdit d’identifier en ton sein des tendances, ni d’avoir des préférences. Et moi, j’avoue avoir toujours eu un faible pour ce peuple de gauche, tout au moins les élans et les conquêtes qu’il a porté depuis qu’il est né, historiquement, à l’aube de la Révolution française.

Je conçois bien, cher peuple, que ta partie droite, traditionaliste, hiérarchiste, dominante, fait partie du jeu depuis toujours. Avant même qu’on l’appelle comme ça. Les dominants – et leurs subordonnés -, depuis toujours, s’appliquent à dominer, on ne les a classé à « droite » que depuis 2 petits siècles et demis. Dans sa version moderne, ta partie droite est douée d’une habileté et de connaissances sérieuses. Elle est intelligente, possède une forme de tolérance et n’oublie pas toujours, par exemple, les héritages multiples dont tu es le creuset. Elle n’ignore pas l’hallucinant mélange celto-vikingo-germano-hispano-arabo-afro-gallo-romain-et-j’en-passe qui a fondé, siècle après siècle quelques rudiments de culture commune à ceux que l’on s’est mis, un jour, à appeler les Français. Elle sait, cette droite, qu’elle soit légaliste, girondine ou « libérale », que concevoir un creuset commun n’efface pas les « particularismes » de l’Alsace à la Bretagne, de Dunkerque à Toulouse, de Paris à Marseille.

Mais si tu le veux bien, je voudrais interroger encore quelques instants ton flanc gauche, mon cher peuple de France. Pourquoi donc fait-il tant rigoler de nos jours, et si souvent du rire le plus jaune ? Pardon, pour cette sentence : parce qu’il n’est pas crédible. Parce que l’idée même de « gauche » ne séduit plus ni ne porte de rapport de force conséquent. Cher peuple, entends-moi, je vois bien qu’il y a des gens qui résistent et qui obtiennent des victoires syndicales essentielles, il y a des re-municipalisation de l’eau potable, il y a mille et une formes de luttes engagées et parfois victorieuse contre l’arbitraire, l’injustice, le mensonge d’Etat. Etrangement, elles semblent ne plus avoir pour référence un quelconque « peuple de gauche ». Pourquoi donc les utopies portées « à gauche » semblent s’incliner du côté des chimères, moins « concrètes » que le moindre Tour de France ou la moindre carte bleue ? Peut-être parce que face à des techniques aussi fabuleusement séductrices que le capitalisme, la gauche telle qu’elle est aujourd’hui visible semble dépourvue de vision et d’organisation qui laisserait au moins imaginer les contours d’une société plus désirable. Peut-être parce que le saut vers un dépassement du capitalisme est aujourd’hui aussi urgent qu’apparemment difficile à dessiner. Renoncer à la production et la consommation de masse... ? Mais que feront les gens, vous voulez la guerre civile... ? Et pourtant, mon vieux peuple, tu sais bien que des activités pleines de sens et de soin ne manquent pas, mais il te faudrait pour ça dé-prioriser le profit, ce que culturellement, tu n’acceptes pas, ou pas encore.

Cher peuple, tu pourrais peut-être proposer un sujet de dissertation au bac pour que les jeunes méditent sur l’état de la gauche : à partir de quand une diversité devient une dispersion et à quel stade une dispersion devient une faiblesse ? Laisse-moi encore un peu, peuple tout entier, examiner la partie gauche de ton encéphale … est-elle marxiste ? bourdieusienne ? attacienne ? social-libérale ? communaliste ? lordonienne ? libertaire ?gramscienne ? mondediplomatiquiste ? néo-bonapartiste ? mélenchonienne ? post-complotiste-islamostigmativiste ? lepagiste ? europécologiste ? bio-populiste ? pickettyste ? anarcho-situationniste-dévergondiste ? féministe ? stieglerienne ? antispéciste ? intersectionaliste ? collapsologiste ? animaliste ? hackerienne ? soporifiste ? baronnoirienne ? convivialiste ? … Comment ?... Elle est entre aïe et ouille ? Oui, je comprends. Moi-même je fais la grimace quand je goûte ce breuvage dont la dominante est si fortement zizaniste. Quelque chose me dit pourtant que de cette effervescence criarde émergera bien une forme plus désirable... plus articulée, plus solidaire, plus exemplaire, plus drôle sans doute. Quand ? C’est toi qui le dira.

Pour l’heure, cher peuple, l’étendue des dégâts sur ton flanc gauche est importante. Car si la diversité est indubitablement une des forces de la nature, une des manifestations de sa prodigieuse puissance vitale, l’actuel bal des ressentiments et la guerre des tendances sont du côté de l’impuissance caractérisée. Cher peuple, si j’interpelle d’abord ta face gauche, c’est parce qu’il semble que ce soit par elle que tu boîtes et même que tu t’enfonces dans un sol de plus en plus pollué. C’est bien ta botte gauche qui semble ne plus savoir poser un pied à terre et donne à la population entière une si curieuse démarche. Maladroite dans ses bottes. Comme si, cher peuple, tu avais évacué d’un trait de plume les mille et une conquêtes de libertés par et pour les disqualifiés de naissance, comme si tu voulais ringardiser la tolérance et la conscience d’appartenir à une même humanité… Pardon encore O grand peuple de France, mais on dirait bien que tu perds ton latin et ton grec, ton sang-froid et ton sang chaud, tu sembles même en train de faire sonner faux ton magnifique triptyque républicain à force de le faire chanter par des orchestres de tartuffes aux accents martiaux.

Quant à toi cher peuple de droite. Toi qui aime l’ordre. Toi qui gères, toi qui assumes les dominations et les consolides quand tu peux, toi qui les perpétue tant que c’est précisément gérable. Toi qui adule les grands hommes, et quelques fois les grandes femmes (surtout si elles parlent comme des hommes), toi qui a placé la capacité d’entreprendre au plus haut niveau des qualités humaines. Toi qui sait bien ce qu’est la force et la loi, toi qui sait utiliser la justice en payant les avocats quoi qu’il en coûte. Toi qui crois dur comme fer dans les vertus de la punition et de l’emprisonnement. Tu es cynique, mais tu n’es pas niais, tout au moins pas toujours. Ton intelligence tactique te permet de naviguer avec habileté dans un moment où la générosité est décriée comme une naïveté. Je sais bien, cher peuple de droite, que tu entrevois comme tout le monde les injustices absolues du monde humain, sauf que toi, tu les naturalises ou, plus hypocritement, tu les caches derrière des paravents spectaculaires. Tu te blindes d’indifférence et pour te recentrer, tu laisses tes tripes se palper le nombril. C’est comme ça, on va pas non plus s’en faire un ulcère. Vous voyez bien qu’il y en a qui ont des gros moteurs et d’autres des rikiki. Pour toi, revendiquer c’est entre déplacé et vulgaire. Cela ne t’empêche pas, pourtant, d’être humain et souvent doué d’humour, il en faut pour supporter notre condition même quand on est riche. Cela, parfois, à gauche, on le sait très bien aussi.

Cher peuple de France, si ta partie gauche est chroniquement pénible c’est aussi parce qu’elle est insatisfaite, à jamais. Mécontente du monde et d’elle-même. Être sensible aux injustices la conduit constamment à être désagréable, à mettre la pression, à ne pas bien se tenir là où on l’invite à bien se tenir. Pourtant, ce qui est vraiment gênant, ce n’est pas qu’elle s’indigne chaque jour, c’est quand elle devient ennuyeuse même pour ceux qu’elle défend. Ta partie droite accompagne beaucoup plus tranquillement la marchandisation du monde : c’est pour elle une des fatalités produites par l’égoïsme humain. Elle s’en accommode et préserve ses biens. Charité bien ordonnée. Décomplexant l’appât du gain, travaillant à ce que celui-ci soit totalement libre, elle plastifie le genre humain aussi bien qu’elle fourre les poissons de tous les dividendes obtenus par le commerce des emballages.

Peuple de France, je te prie d’observer tout de même que quand, à de rares occasions, la droite s’inspire de la gauche, ça donne des choses comme le Conseil national de la résistance, le droit d’avorter ou encore le divorce par consentement mutuel qui n’existe que depuis 1975 sous le régime d’un certain Giscard. Observe aussi que quand la gauche copie trop la droite ça donne là où on en est dans la France de maintenant. Des politiques qui gèrent du vide de sens à perpétuité et priorisent les intérêts des vieux nantis tout en faisant du jeunisme ; cela donne du découragement massif, du mensonge érigé en vertu, de l’efficacité au service de l’élimination des moins performants, une hyper-technicité qui dissous les contradictions en apparence et fait monter autant la bosse des ventres-mous que la rage acide des impuissances citoyennes. A très vite, j’ai d’autres choses à te dire (à suivre)

Paru dans https://blogs.mediapart.fr/vincent-...


Commentaires

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dimanche 12 septembre 2021 à 21h05 - par  Fanny Roussel

Il y a un peu de tout, mais en gros, ça nous permet de devenir plus conscient de ce qui se passe en ce moment dans notre société. Mais quoi qu’il en soit, il y aura toujours des personnes qui vont trouver leur mot à dire.

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