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La duplicité des vieux fossiles

Illustration de Garnotte glanée sur le net par Benoist Magnat
jeudi 16 décembre 2021
par  Yann Fiévet
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C’est entendu : Glasgow vient de vivre un énième fiasco ! De COP en COP, on repousse toujours à plus tard le moment de prendre les décisions qui pourtant s’imposent depuis longtemps. On leur préfère la signature d’engagements non contraignants proclamés pour la galerie à grand renfort de tambours et trompettes à l’instar de Laurent Fabius au sortir de la COP 21 à Paris en 2015. Cependant, à Glasgow, les tambours furent moins sonores et les trompettes commencèrent de s’étouffer. C’est que la galerie forgée en partie par les médias tenus en main par des groupes financiaro-industriels est de moins en moins encline à sacrifier aux marchés de dupes montés en épingle. Tout le monde sait désormais que le remède le plus sûr pour commencer d’enrayer le risque de l’emballement climatique consiste à maintenir dans le sous-sol les sources fossiles d’énergie. Elles ont fait la richesse du monde – certes fort mal répartie – depuis deux cent cinquante ans mais sont aujourd’hui son malheur.

Tout le monde sait cela mais les intérêts particuliers ou locaux de court terme continuent de l’emporter sur l’intérêt global de long terme.A Glasgow, les forces de la « société civile mondiale » - qui porte sans doute le plus légitimement l’intérêt global pour la défense du climat- étaient plutôt clairsemées contrairement à leur présence remarquée lors des COPS d’avant la pandémie planétaire. Elles sont toujours évidemment cantonnées à l’extérieur du périmètre du grand raout tandis que les représentants des lobbies pétroliers, gaziers et charbonniers, toujours plus nombreux, sont généreusement invités à pénétrer dans l’enceinte officielle où des décisions susceptibles de nuire à leurs mandants pourraient éventuellement être prises. Deux mondes s’affrontent qui sont décidément inconciliables : les ONG « environnementales » porteuses du monde de demain restant à construire ; les « groupes de pression » décidés à tout faire pour préserver la rente juteuse que leur garantirait la perpétuation des ressorts profonds du vieux monde. Les décideurs politiques (- qui portent fort mal leur nom – sont tiraillés entre ces deux mondes. Il en résulte une éclatante duplicité : ils promettent de renoncer, plus ou moins rapidement, à l’extraction des « fossiles » tandis que leurs actions consistent à poursuivre, en maints endroits de la planète, la fuite en avant carbonique.

A mesure que les nations diminuent leur part dans le recours aux énergies fossiles, les géants du pétrole, du gaz ou du charbon font appel à des « tribunaux d’arbitrage » leur permettant de poursuivre les Etats. Ces poursuites judiciaires sont évaluées à des milliers de milliards de dollars à l’échelle planétaire - représentant incontestablement une menace pour les éventuelles décisions prises lors des conférences sur le climat. Nombre d’accords internationaux, tels que le Traité sur la charte de l’énergie ou des traités de libre-échange, que les Etats ont bel et bien ratifiés, contiennent des mécanismes de règlement des litiges qui permettent à des entreprises et investisseurs étrangers de les poursuivre directement devant lesdits tribunaux. Les géants des énergies fossiles ont recours de manière croissante à ce type d’arbitrage pour récupérer leurs investissements et demander réparation pour leur « manque à gagner ». Le BRG (Berkeley Research Group) indique que si les États adoptent des lois destinées à limiter le réchauffement à 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle d’ici 2050, des champs d’exploration pétrolière et gazière pourraient être l’objet de litiges à hauteur de 3 300 à 6 500 milliards de dollars et des gisements de charbon pour entre 650 et 700 milliards. Des réserves pétrolières pour un montant de 900 milliards de dollars seraient concernées dans le cas d’un scénario à +1,5°C. Précisons que les sociétés minières et du secteur de l’énergie ont une longue histoire de succès judiciaires portant sur des sommes considérables. Ainsi, en 2006, Occidental Energy avait poursuivi l’Équateur pour rupture de contrat pétrolier. Ce pays avait été condamné à verser 1,77 milliard de dollars, somme ultérieurement réduite à un milliard. D’autres affaires sont en cours : Elles concernent par exemple l’abandon du projet d’oléoduc Keystone en Amérique du Nord pour lequel le plaignant TC Energy demande 15 milliards de dollars. L’allemand Uniper exigent plus d’un milliard de dollars des Pays-Bas pour la décision de ce pays d’abandonner le recours au charbon. Uniper prétend que cette politique publique a réduit de 15 ans la durée de vie de sa centrale MPP3 située près de Rotterdam. Les nombreux pays qui acceptent directement ces procédures d’arbitrage ou y sont soumis indirectement par les traités qu’ils ont ratifiés disposent ainsi d’un opportun prétexte pour ne pas se hâter sur le chemin de l’impérieuse transition énergétique.

Au chapitre de la duplicité la France ne saurait être en reste. Son Gouvernement instruit actuellement une demande de permis pour exploiter en Lorraine le « gaz de couche », gaz enfermé dans des couches de charbon). Ce projet a été maintes fois dénoncé par des organisations et groupes citoyens mobilisés sur le terrain rejoints désormais par 66 élus locaux et parlementaires qui ont signé récemment une tribune dans la presse. Le projets émane de la Française de l’Énergie, anciennement European Gas Limited, et pourrait installer jusqu’à quatre cents puits de forage en Moselle pour exploiter ce gaz non conventionnel. L’exploitation concernerait quarante communes du département sur un territoire de 191 km² et permettrait à la Française de l’énergie, société cotée en bourse, d’extraire ce gaz jusqu’en 2040, voir au-delà, sans garantie réelle sur les conditions de cette exploitation. Ces dernières années, l’entreprise, qui détient un permis d’exploration depuis 2004, a multiplié les essais de techniques alternatives à la fracturation hydraulique, seule technique permettant l’exploitation de ce gaz non conventionnel de façon rentable, mais interdite par la loi depuis 2011. Ces essais ont tous été infructueux mais entraînent des impacts environnementaux bien réels, notamment la consommation de huit mille m3 d’eau par forage, des risques de contamination des nappes phréatiques et l’aggravation du changement climatique en raison de fuites de méthane. Emmanuel Macron se devrait, pour sauver un peu l’honneur de la France, de mettre fin au plus vite à ces aventureux chantiers. Il se targue souvent d’être un Président moderne. Pour l’heure il demeure dans le camp des vieux fossiles !


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