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BRESIL: UN ESPOIR POUR LE BRESIL ?
Entretien avec Ruy Rodrigues Da Silva.
Propos recueillis par João Silveirinho. Janvier 2003


RlB - Quelques mots sur la popularité de Lula ?

RRDS – Il n’y a jamais eu au Brésil une telle identification entre le peuple et son président, et ceci non seulement auprès des classes populaires, mais aussi auprès des classes moyennes, des intellectuels. Nous sortons d’une situation ou les brésiliens étaient complexés. Ils sont maintenant fiers d’eux-mêmes. C’est aussi la première fois que nous avons un président issu des classes populaires, qui ne soit pas passé par les études supérieures.

RlB – Comment faire vivre cet espoir ?

RRDS – Dès le départ, Lula a proposé un pacte social, en liant un projet commun de société et un programme de gouvernement. Ce projet commun va être précisé par un organisme représentatif de la société civile, d’un peu plus de 80 membres, qui est en train de ce mettre en place, un peu sur le modèle des gouvernements participatifs que la ville de Curitiba et de l’Etat de Rio Grande do Sul. Il s’agit, ce faisant, de consolider notre système démocratique, qui est encore jeune.
Lula a défini les grands axes des réformes qu’il entend conduire. Il y aura bien sûr une réforme agraire pour non seulement favoriser l’agriculture familiale, mais aussi pour réorienter la production vers les besoins intérieurs : c’est un point important de la lutte contre la faim, qui constitue une priorité pour le gouvernement.
L’axe central doit être la politique sociale, la lutte contre les inégalités, qui sont énormes au Brésil. Il faut démontrer que la variable sociale est au moins aussi importante que la variable économique et financière.
D’autre réformes sont nécessaires et urgentes. La réforme de la justice, par exemple : nous devons sortir d’une sorte de justice de classe, peu accessible aux classes populaires. Un autre point épineux est la réforme de la sécurité sociale, dont les déficits sont abyssaux. C’est très difficile à faire, car plus de la moitié de la population active vit dans une économie informelle qui ignore la protection sociale, mais ne cotise pas. Comme partout, les patrons veulent diminuer les charges, et les syndicats maintenir les droits acquis, notamment dans la fonction publique, mais ceci pose un vrai problème d’égalité. D’autre part, l’accès aux soins par exemple, est très mal couvert par la santé publique, malgré des efforts du gouvernement précédent, notamment dans la lutte contre le SIDA, et les classes moyennes et supérieures se sont ruées sur des « plans de santé » privés, qui éloignent encore plus de la médecine publique ceux qui pourraient davantage contribuer à son financement.
Le système participatif doit aussi concourir à une réforme des pratiques politiques. Au brésil, on change de parti politique aussi souvent qu’on change de club de foot-ball, au gré d’intérêts électoralistes immédiats et d’éventuelles prébendes (le Parti des Travailleur est le seul parti qui soit structuré et qui compte vraiment des militants). La lutte contre la corruption doit être renforcée.

RlB – Quels obstacles à ce projet ?

RRDS – Les milieux financiers, nord américains et brésiliens, avaient mené campagne en promettant des désordres importants en cas de victoire de Lula. Mais la passation de pouvoir s’est faite dans le calme. Les mouvements les plus radicaux, tel le Mouvement des paysans Sans Terre, jouent le jeu.
Le problème le plus difficile est celui de la dette extérieure, qui a quadruplé pendant la mandature précédente. Il ya eu une dollarisation de fair de l’économie, qui a laminé la valeur de la monnaie et fait redémarrer l’inflation. Le dollar a été une excuse, facile et fausse, permettant aux entreprises d’augmenter leur prix : « C’est la faute au dollar ». Le gouvernement a commencé une renégociation de la dette. Lula a eu l’intelligence de nommer aux postes économiques sensibles des gens compétents et reconnus comme tels y compris au niveau international.
Mais bien sur, la partie n’est pas gagnée, et les forces de droite restent vigilantes. Un échec serait un immense traumatisme, une sorte de désaveu du peuple par lui-même, tant ce peuple s’identifie aujourd’hui à l’équipe et au projet de son président.



RLB - Le Brésil a un poids économique et démographique important en Amérique Latine. Le nouveau gouvernement de Lula annonce-t-il une possible influence politique ?

RRdS – Une telle influence sera réelle si la politique interne de Lula réussit, même partiellement. Son gouvernement sort des schémas classiques latino- américains, où les gouvernements « démocratiques » étaient toujours issus d’oligarchies ou d’élites très restreintes, sans véritable base populaire. Le Brésil offre une alternative inédite : un gouvernement crédible pour sa propre population.
Il entre par ailleurs dans le projets de Lula de travailler à renforcer l’unité des pays latino-américains afin de constituer un meilleur contrepoids à l’influence des Etats-Unis : quand on se sent plus fort, on défend mieux ses propres intérêts. Pour cela, il propose, entre autres, de relancer le Mercosur, qui est objectivement un échec jusqu’à présent, sur de nouvelles bases.
Au delà même des relations avec les pays latino-américains, le fait de vouloir établir des relations non seulement avec les Etats-Unis et l’Union Européenne, mais aussi avec d’autres grands pays émergents, tels la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud n’aurait pas été crédible auparavant. Lula a donné de la crédibilité au Brésil au niveau des relations internationales.
Pour revenir à l’Amérique latine, certaines méthodes de gouvernement mises en place localement par le Parti des Travailleurs, tels les budgets participatifs ou l’organisation de la société civile en tant que partenaire actif, et dont Lula s’inspire, peuvent donner des idées aux pays voisins.


RLB – Castro, Chavez et Lula constituent-ils un « axe » de gauche en Amérique latine ?

RRdS – On ne peut pas voir les choses comme ça. Cuba ne constitue pas un modèle pour le Brésil. Certains des ministres de Lula ont des liens personnels anciens avec des dirigeants cubains. Le Brésil maintiendra des relations positives avec Cuba, et pourra même les développer, mais on ne saurait parler d’axe politique.
Pour ce qui concerne le gouvernement d’Hugo Chavez, vous savez que Lula a été à l’origine de la constitution du « groupe d’amis » du Vénézuela, dont le but est de contribuer à calmer les passions et de permettre à Chavez d’aller jusqu’au terme normal de son mandat.


RLB – Les Etats-Unis font partie du « groupe d’amis », alors qu’ils ont joué un rôle dans les tentatives de déstabilisation de Chavez.

RRdS – Il est sans doute préférable d’inclure les Etats-Unis dans un processus de médiation collectif plutôt que de les maintenir à l’écart. !

RLB – Toutes proportions gardées, l’Argentine et le Chili sont deux autres pays importants d’Amérique Latine, dont la population est sans doute plus européanisée que le Brésil. Cette différence quasi culturelle est-elle un obstacle sérieux à des actions communes ?

RRdS – Les méthodes de gouvernement que j’ai déjà citées, les objectifs aussi, comme le bien-être de la population, si souvent oublié par les gouvernements sud-américains, peuvent avoir un écho dans les sociétés civiles des pays voisins du Brésil et faire émerger de nouveaux leaders, notamment en Argentine, où la classe politique est déconsidérée. Jusqu’à présent, la proposition politique était toujours la même, mélange d’héritages de la période coloniale et de démocratie à l’européenne plaquée sur des pays qui sont tout de même différents. Prenons un exemple concret de propositions innovantes. Vous connaissez la situation économique catastrophique de l’Argentine, qui est en cessation de paiement. Hé bien, Lula a proposé de mettre en place un système de troc, pour maintenir des courants d’échanges et un certain niveau de production tant pour l’Argentine que pour le Brésil, et qui court-circuite, en plus, les intermédiations financières coûteuses.
Le Brésil, je crois, va travailler à identifier des objectifs communs avec ses voisins. C’est la meilleure façon de développer les relations et les échanges, en mobilisant des énergies dans chacun des pays concernés par ces objectifs


RLB- Quelles différences entre la gauche au Brésil et la gauche en Europe?

La gauche brésilienne, historiquement, a connu des influences communes à la gauche européenne, et notamment française.

Nous avons eu ici pendant longtemps, comme en France, un Parti Communiste très lié à Moscou, très influent auprès d’intellectuels de renom tels Oscar Niemeyer ou Jorge Amado, avec des implantation syndicales fortes. Il a éclaté entre un parti très gauchiste, qui demeure influent chez les étudiants et a des députés, un parti, disons, « orthodoxe », et un parti rénové, un peu à la mode italienne, qui participe au gouvernement de Lula.

Le grand changement dans la gauche brésilienne a été l’émergence d’une gauche humaniste non marxiste qui a supplanté le parti communiste et constitue la majorité du Parti des Travailleurs de Lula. Le PT a su aussi garder des héritiers du marxisme et a une aile trotskiste. En ce sens, il est plus ouvert que le PS français, mais a pour la gauche la même tendance hégémonique. Autre nuance si on compare PT et PS : les éléments les plus « libéraux » du PS français ne seraient sans doute pas au PT au Brésil, mais dans un des partis de centre-gauche.

Nous avons beaucoup plus de partis qu’en France, à gauche comme à droite. Il faudrait aussi citer une tradition de gauche populiste, dont les partis représentatifs ont des ministres dans l’actuel gouvernement. Mais la singularité du « modèle » de la gauche brésilienne par rapport à l’Europe est sans doute le souci plus fort de rapprocher les citoyens de l’action, et même de la décision.

Impliquer la société civile à tous les niveaux est une des priorités du gouvernement. Lula a installé un conseil participatif au niveau national, regroupant des figures syndicales, patronales,associatives, religieuses même, qui est certes consultatif, mais dont les avis sont très médiatisés. Il faut bien voir aussi que c’est une façon de contourner les pouvoirs bureaucratiques et technocratiques, qui sont, on le sait bien en France, envahissants, et aussi les idéologues. Et le gouvernement encourage ouvertement la multiplication des conseils consultatifs dans les Etats, les communes, les quartiers.

Cette implication de la société civile est cohérente avec les priorités très concrètes du gouvernement, tels le programme Faim Zéro, la généralisation de la protection maternelle et infantile, la volonté de développer l’éducation (40% des élèves scolarisés ne finissent pas le collège, et il y a encore beaucoup d’élèves non scolarisés, malgré de gros progrès), la décision récente de lutter fortement contre les gangs qui contrôlent les favelas des grandes villes et le trafic de drogue, en impliquant l’armée dans cette lutte.

Ces priorités très concrètes ne sont pas du tout incompatibles avec le rôle international actif que Lula veut donner au Brésil. Son nouvel ambassadeur aux Nations-Unies a comme consigne de sensibiliser la communauté internationale aux déséquilibres économiques et sociaux. Dans l’affaire irakienne, le Brésil a soutenu sans ambiguïté le camp de la paix. Lula est lui même intervenu pour encourager l’Angola, membre du Conseil de Sécurité, à résister aux pressions américaines. D’ailleurs, J. Chirac a consulté à plusieurs reprises Lula, l’invitant même, ce qui va sûrement ravir M. Bush, à intervenir à la prochaine réunion du G8 !
Ruy Rodrigues Da Silva a été Secrétaire d’Etat à l’Education et à le Recherche dans les gouvernements des Etats brésiliens de Goias et du Tocantins, avant et après la dictature miliaire pendant laquelle il a été réfugié politique en France