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Amérique latine: Ou va l'Amérique latine?
Par Jean-Michel Hureau


Pour tenter de comprendre vers où chemine l’Amérique Latine sus les plans politique et économique, aujourd’hui, il est nécessaire de se tourner vers le passé de quelques décennies. Dans les années 70, les régimes dictatoriaux, répressifs et sanguinaires étaient majoritaires, sous l’oeil bienveillant et même très largement complice des États-Unis et de ses grandes multinationales comme United Fruit ou ITT. Le plan Condor, accord secret passé entre les dictateurs d’alors, Pinochet, Videla, Stroessner et compagnie, de sinistre mémoire, était destiné à éradiquer toute velléité d’opposition politique et de progrès social, en éliminant physiquement, ceux qui en étaient porteurs. C’était alors l’époque dorée pour les États-Unis du pillage et de l’exploitation systématique de ce qu’ils ont toujours considéré comme leur « jardin réservé ». Les guerrillas fleurissaient : Sentier lumineux, Tupamaros, Front Patriotique Manuel Rodriguez, Farabundo Martí de Libération Nationale, Sandinistes, Forces Armées Révolutionnaires de Colombie entre autres. Dans les années 80, le scénario prît une autre tournure, puisque, peu à peu, les dictatures militaires firent place au retour à des régimes plus ou moins démocratiquement élus, allant du centre-droit à l’extrême droite, mais toujours inféodés aux États-Unis. Deux exceptions néanmoins : le Cuba de Fidel Castro, en proie à un farouche embargo depuis le renversement de Batista et le Nicaragua de Daniel Ortega, qui vînt à bout de Somoza. Petit à petit, les guerrillas se désarmèrent et rentrèrent dans le jeu politique classique, à quelques exceptions près là encore, comme les FARC et l’ELN en Colombie ou le mouvement Tupac Amaru au Pérou. L’embargo continuait pour Cuba et les États-Unis avaient inventés les « Contras » pour combattre les Sandinistes. C’est une méthode courante que, pour provoquer l’échec d’un gouvernement, on l’oblige à se concentrer sur l’effort de guerre. Les Sandinistes ont alphabétisé l’immense majorité de la population et développé le système de Santé pour qu’il soit accessible au plus grand nombre. La situation se stabilisait avec toujours l’omniprésence des grands consortiums nord-américains. Corruption, comptes en banque aux Bahamas, aux îles Caïmans ou en Suisse étaient une pratique systématique, avec quelques convulsions, au début des années 90, comme la tentative de putsch d’Hugo Chávez au Venezuela en 92, après un soulèvement populaire. Un fait marquant de ce que nous vivons aujourd’hui, est l’initiative des États-Unis, au sommet des Amériques en 1994, de créer l’ALCA ( Área de Libre Comercio de las Américas ) rebaptisée, par certains, ZLEA ( Zone de Libre-Échange des Amériques ). L’idée était de créer un vaste marché permettant aux nord-américains d’écouler leurs produits vers le sous-continent latino-américain. Une espèce de néocolonialisme insidieux, sous couvert de libéralisme, destiné à favoriser essentiellement l’économie nord-américaine. Le premier à l’expérimenter fût le Mexique avec le TLCAN ( Tratado de Libre Comercio de América del Norte ), c’est à dire le Traité de Libre-échange de l’Amérique du Nord, qui s’est révélé être une véritable catastrophe pour l’agriculture mexicaine et a mené à la ruine les petits propriétaires terriens. Devant l’impossibilité d’imposer l’ALCA en bloc à l’Amérique Latine, les États-Unis ont à nouveau changer de stratégie : passer des TLC bilatéraux. Tant que les gouvernants sont de fidèles serviteurs des États-Unis, tout va bien mais la chose a semblé commencer à se gâter quand arrivèrent au pouvoir des hommes se réclamant de la gauche : Hugo Chávez au Venezuela, Ricardo Lagos au Chili, Alejandro Toledo au Pérou, « Lucio » Gutierrez en Équateur, Luiz Inacio « Lula » da Silva au Brésil, Hipólito Mejía en République Dominicaine, Néstor Kirchner en Argentine. On a alors le sentiment que le vent est en train de tourner et que les États-Unis devront s’accommoder de ces gouvernements « progressistes ». Restent toutefois quelques alliés fidèles, Vicente Fox au Mexique, Álvaro Uribe en Colombie, Jorge Battle en Uruguay et toute l’Amérique Centrale. C’est alors qu’intervient une divergence de point de vue, et non des moindres. Hugo Chávez d’un côté, qui résiste aux grèves organisées par le patronat et un syndicat ouvrier complice, qui déjoue les coups d’état fomentés par l’oligarchie et la CIA, qui s’affiche ouvertement comme ami de Fidel Castro, qui lance le programme « Robinson » dans l’Éducation, le programme « Barrio Adentro » pour la Santé, une réforme agraire, la construction de logements sociaux, qui lutte contre la pauvreté et donne la parole aux indiens. La dernière tentative de l’opposition de collecter 2,4 millions de signatures destinées à provoquer un référendum pour le renverser s’est soldée par un échec. L’oligarchie qui a dirigé le pays pendant 40 ans, avec une corruption même pas voilée (avec une mention spéciale à Carlos Andrés Perez, 2 mandats, et Jaime Lusinchi, 1 mandat), ne lui pardonne pas les mesures sociales qu’il prend. Il est accusé par l’opposition de mener le pays vers un système dictatorial. De l’autre, un ensemble rempli de contradictions, avec des déclarations quelquefois tapageuses, suivies de décisions incohérentes et contradictoires. Faisons l’inventaire:

Argentine

Le 7 janvier 2004, Néstor Kirchner a déclaré : « Nous avons cessé d’être des paillassons. Nous pouvons accepter des rencontres mais personne ne peut nous donner des ordres, et encore moins nous punir, parce que nous sommes un pays digne ».
Kirchner refuse les exigences du FMI mais promet de payer la dette rubis sur l’ongle. Il refuse aussi l’extradition de militaires impliqués dans les atteintes aux Droits de l’Homme, alors qu’il l’avait promis lors de sa campagne électorale.

Bolivie

Carlos Mesa, une semaine après avoir succédé à Gonzalo Sánchez de Lozada a affirmé la continuité des mesures politiques néolibérales, ainsi que le respect des accords avec le FMI. Mesa persiste dans son intention d’exporter le gaz naturel vers les États-Unis via un port chilien, ce qui avait provoqué la chute de son prédécesseur. Certains pensent que ce marché pourrait rapporter 24 millions de dollars à Pacific LNG (British Petroleum, Britishgaz et Repsol/YPF) pour 1 dollar à l’état. Il considère que la signature d’un TLC avec le Chili serait une catastrophe pour l’agriculture bolivienne. Les producteurs de coca et leur leader Evo Morales y constituent un puissant lobby.



Brésil

Lula trahit une à une ses promesses électorales. Prolongation pour 2 ans d’un système d’imposition qui profite aux riches, réforme libérale des retraites qui consiste, selon lui, à sauver le système par répartition en assurant l’équilibre budgétaire dans le cadre de la Banque Mondiale, et rallonge de 7 ans les cotisations. Ça ne te rappelle rien ? Mais, dans le même temps, il refuse l’ALCA prévue par Washington. « Lula » a déclaré : « Nous sommes au gouvernement, mais nous ne sommes pas au pouvoir. Nous ne nous faisons pas d’illusion ». Cela ressemblerait il à un aveu d’impuissance ?

Chili

« Puni » par Washington après son refus de voter à l’ONU la résolution pour la guerre à l’Irak, le Chili de Ricardo Lagos jouit d’une économie saine et dynamique grosse exportatrice de produits agricoles, attire les investissements et fait figure d’oasis dans cet environnement. Il se situe au 20ème rang des pays les moins corrompus, au même niveau que la France et les États-Unis, et de très loin le mieux placé en Amérique Latine. Le TLC avec les États-Unis a finalement été signé et a pris effet au 1er janvier 2004. Le récent rapprochement économique avec l’Union Européenne n’y est peut-être pas étranger. Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a déclaré : « Le Chili a perdu sa souveraineté en signant le TLC avec les États-Unis ». Le gouvernement a trouvé un consensus avec les militaires quant aux atteintes aux Droits de L’Homme sous la dictature.

Colombie

Le conservateur Álvaro Uribe est sans doute un des plus fidèles alliés des États-Unis. Il vient cependant de perdre les élections régionales et municipales au profit du Pôle Démocratique, de gauche, qui pourrait bien remporter les prochaines élections présidentielles. Le pays vit toujours marqué par la guérilla des FARC et le trafic des cartels de la drogue.

Équateur

Général de gauche et putschiste en janvier 2001 contre Jamil Mahuad, accusé de corruption, « Lucio » Gutierrez a annoncé lors de son investiture un virage à 180 degrés, a confirmé sa volonté de combattre une oligarchie corrompue et a appelé à l’investissement étranger dans le pays. Pour la première fois en Amérique Latine, une indienne quetchua occupe les fonctions de ministre des Affaires Étrangères et un autre indien est ministre de l’Agriculture. « Lucio » s’est engagé à respecter les accords internationaux, gros clin d’oeil au FMI. Le service de la dette représente plus de la moitié du Produit Intérieur Brut et le degré de pauvreté est de 80%. Depuis 2000, le dollar a remplacé la monnaie nationale, le sucre. Quatre jours après son investiture, le gouvernement a augmenté le prix de l’essence super de 39%, provoquant ainsi la colère que ceux qui l’avaient soutenu, les pauvres et les indiens. Il est toujours dangereux d’augmenter le prix de l’essence en Amérique Latine à cause de la répercution immédiate sur le prix des transports.

Mexique

Étroit collaborateur de toujours, après une courte rébellion, avec le Chili, à propos de la résolution de l’ONU sur l’Irak, Vicente Fox est redevenu le fidèle vassal des États-Unis. Il permet même aujourd’hui l’intervention d’agents du FBI dans l’aéroport de Mexico pour des raisons de sécurité. Le PRD (Parti de la Révolution Démocratique) de centre-gauche a accusé le président d’avoir « une attitude soumise » face aux États-Unis et a fait remarqué que « la collaboration et la subordination étaient deux choses différentes ».

Paraguay

Nicanor Duarte a promis de combattre la corruption. On attend.



Pérou

Alejandro Toledo, qui avait une succession politique facile après le départ d’Alberto Fujimori, a dû faire face à des grèves et des manifestations pour ne pas avoir respecté ses promesses électorales. Il a tenté de privatiser l’eau et l’électricité. Il n’a pris aucune mesure sociale et économique pour le peuple.

République Dominicaine

Hipólito Mejía, du PRD (Parti Révolutionnaire Dominicain), centre-gauche, a conduit en 3 ans le pays à la ruine, avec une inflation galopante et le pays est à la botte du FMI. Il a envoyé un contingent de soldats en Irak.

Salvador

Très fier d’occuper la 24ème place mondiale en termes de liberté économique et la 2ème en Amérique Latine après le Chili, d’après la fondation Héritage, alors que le Venezuela et l’Argentine régressent bien sûr, sa bonne note est due à de grandes avancées dans la libéralisation et la dérégulation des marchés, ainsi que dans la privatisation de certaines industries. Le FMLN ( Farabundo Marti de Libération Nationale) issu de la guerrilla, a fait un très bon score aux dernières élections législatives. Shafik Handal, candidat aux présidentielles de 2004 est donné dans les sondages comme gagnant possible. Des grèves ont empêché la privatisation de la Sécurité Sociale. Serait-ce un exemple à suivre ?

Uruguay

Le conservateur Jorge Battle a perdu le référendum sur la privatisation de l’ANCAP, l’entreprise pétrolière d’État. Le FA (Frente Amplio), de gauche, est donné gagnant aux élections d’octobre 2004. Mais on sait déjà que, comme Lula, il y aura respect de tous les engagements internationaux donc pas d’opposition aux plans du FMI et au remboursement de la dette, et pas de poursuite contre les militaires coupables d’atteintes aux Droits de l’Homme sous la dictature.

Reste Cuba, moins isolé aujourd’hui avec Hugo Chávez, mais toujours singulier. Encensé par les uns, décrié par les autres, Fidel Castro est souvent présenté comme un horrible dictateur. Le pays est dans une situation économique catastrophique, les salaires sont bas, l’État contrôle tout, mais comment pourrait il en être autrement après 40 ans d’embargo et une opposition particulièrement réactionnaire basée à Miami, soutenue par les États-Unis, nostalgique de la dictature féroce de Batista. Il n’empêche qu’à Cuba, tout le monde peut étudier gratuitement et se faire soigner. Mais, évidemment, une fois les études terminées, on doit un certain nombre d’années au service de l’État, ce que les libéraux qualifient d’atteinte à la liberté. Les médecins cubains, notamment, sont reconnus dans le monde entier comme très compétents, et on vient du monde entier dans l’île s’y faire soigner bon marché.
Deux thèmes sont récurrents : l’Éducation et la Santé. Cela n’a rien d’étonnant puisque, partout sauf à Cuba, ces deux secteurs relèvent du privé, essentiellement. Il existe bien , dans les autres pays un secteur public, mais pauvre, mal équipé, moins performant. Pour recevoir une bonne éducation, il faut avoir de l’argent. Les frais de scolarité peuvent atteindre 500 euros mensuels. Pour se faire soigner, il faut payer avant d’entrer. Si, si ! On te laisse claquer à la porte ! Ça ne rigole pas ! On comprend mieux alors pourquoi les pauvres se rangent du côté de ceux qui réforment ces secteurs. Cependant, beaucoup de ces nouveaux élus, n’ont pas rompu avec le modèle néolibéral, et ceux qui les ont amené au pouvoir s’en détournent rapidement, se sentent floués et sont à chaque fois déçus. Pour ce qui est de l’ALCA, Hugo Chávez est partisan qu’elle se fasse sans les États-Unis. Le pôle Lula-Kirchner-Lagos serait favorable à ce que les États-Unis y jouent un rôle prépondérant mais pas décisif. Les autres sont des vassaux où ont baissé leur pantalon en reniant leurs promesses. Il y a fort à parier que l’ALCA ne générera pas de bénéfices à l’Amérique Latine. Les grèves et manifestations contre les mesures anti-sociales se sont soldées dans de nombreux pays par des intimidations, des arrestations préventives, des violences contre les manifestants, des interventions de l’armée et de nombreux morts. Malheur à celui qui a l’audace de s’opposer au modèle libéral ! Je me dis souvent que nous vivons en Amérique Latine avec quelques années d’avance sur la France et l’Europe. La réforme des retraites, le démantèlement programmé des services publiques d’Éducation et de Santé, la réforme à venir de la Sécurité Sociale sont autant de présages qui ne me laissent pas augurer d’un avenir meilleur. La seule façon d’aller vers plus de justice sociale ne peut donc résider que dans l’abandon du système libéral et l’intervention de l’État dans tous les secteurs de l’économie, en se référant aux valeurs de la République et en donnant la parole aux Citoyens. Pour rétablir la confiance entre le Politique et le Peuple, il convient de ne pas faire de promesses inconsidérées, de parler franc, sans populisme, et enfin, de permettre une plus large expression de la volonté populaire et d’en finir avec les prétendus spécialistes de la politique.