AFFAIRE CLEARSTREAM : LE PROBLEME DE FOND, C EST QUAND MEME CLEARSTREAM*
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On en a beaucoup parlé et ce n’est sans doute pas fini. Il faut reconnaître que le scénario est digne des maîtres du burlesque américain, à croire que les Marx Brothers, Mel Brooks**, Buster Keaton et Blake Edwards se sont syndiqués pour concocter ce bazar. Jugeons-en. Un « maître-espion », selon la presse (c’est nouveau, ça, maître espion. Vous faites quoi dans la vie ? Maître espion ; ça pose), qui laisse des petits papiers ultra-super-confidentiels un peu partout. Un « stratége international visionnaire » qui bombarde un juge de poulets anonymes mais dont il ne lui cache pas la provenance. Un perceur de coffres-forts informatiques génial et oriental, donc louche, qui ne perce rien du tout. Un ministre, devenu premier depuis, qui passe son temps à tenter de dégommer un concurrent et qui se prend à la fois pour Bonaparte et les pieds dans le premier tapis qui se présente. Ce concurrent, à qui il ne manque guère que les costards à rayures et les pompes bicolores pour être tout à fait crédible en chef maffieux, qui tente de faire pleurer Margot en jouant aux victimes éplorées alors qu’il sait tout et depuis longtemps. Mauvais ministre de la police certes, mais pas au point de négliger ses petites affaires. Et un président de la république qui prétend n’avoir rien entendu, ce qui demontrerait que son sonotone est largement insuffisant vu son état d’hébétitude. Il est vrai qu’il semble très occupé à gracier les uns, éviter les tribunaux aux autres et caser les derniers avant la retraite, sans compter les soucis de comptes japonais dont on retrouve trace dans les multiples petits papiers du « maître-espion ».
Evidemment, les institutions, déjà mal en point, sont maintenant en lambeaux, l’image de la France dans le monde, n’en parlons pas, il ne reste plus guère que Lula, qui a le cœur sur la main, pour faire fête a celui qui demeure encore pour une année notre président. Evidemment, dans n’importe quelle démocratie, de telles affaires eussent entraîné des démissions en cascade. Pas ici, et il nous reste donc encore un an à supporter ces pieds nickelés.
Il demeure cependant une chose : Clearsteam « en soi ». Le sujet ne retient guère l’attention des medias et des organisations politiques ou citoyennes (à l’exception d’ATTAC). Voila un établissement financier qui fournit un service certes indispensable (la compensation entre banques) et qui agit hors de tout contrôle, sauf une enquête de la justice luxembourgeoise dont on connaît le notoire et quasi légendaire acharnement à débusquer les filières d’argent sale. Voila une entreprise privée qui traite les transactions entre des banques de toute la planète, y compris les paradis fiscaux. Voila dans ces transactions l’apparition de comptes d’entreprises ou de personnes qui ne sont qu’ « intermédiaires » et disparaissent des traitements informatiques aussi vite qu’ils sont apparus. Il est possible que Clearstream, la mal nommée, gère tout cela en toute légalité. Mais qui ne voit que les conditions sont réunies pour en faire, en des mains malintentionnées, une gigantesque lessiveuse à argent sale. Et ce ne sont pas les déclarations de l’un de ses dirigeants dans la presse (en gros, « nous faisons un travail compliqué que pas grand monde ne peut comprendre, alors laissez-nous bosser en paix ») qui nous rassurent.
Les conférences internationales concernant la lutte contre la grande délinquance financière se succèdent à un rythme soutenu, où les Etats, la main sur le cœur, se promettent mutuellement de traquer trafiquants et fraudeurs, et pendant ce temps, deux entreprises privées (l’autre est americaine, comme il se doit) se goinfrent tranquillement le juteux marché de la compensation. Celle-ci doit être effectuée par un organisme public, c’est une évidence. L’Europe manque de projets, parait-il : en voila un. Mais on dirait qu il n’entre pas vraiment dans les priorités de la Commission.
* Au Cactus, nous mettons un point d’honneur à rendre à César ce qui est à César et à Mangenot ce qui est à Mangenot. Donc, la formule est de notre ami Marc Mangenot, éminent copernicien.
** Pour celles et ceux qui ne disposeraient pas de l’ébouriffante culture cinématographique du Cactus, Mel Brooks est le réalisateur, entre autres des Producteurs, du Sheriff est en prison, d’une réjouissante parodie de Frankenstein et joue un rôle majeur dans un hilarant remake de To be or not to be, le classique d’Ernest Lubitsch. Blake Edwards a notamment à son actif la série des Pantheres roses, où l’inspecteur Clouzeau fait autant de gaffes qu’un maître-espion, The party, Pink submarine et le sublime Victor Victoria. Les Marx et Buster, on suppose que c’est quand même du connu.
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