TRANCHES DE VIE

mercredi 18 mai 2011
par  Florence Bray
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Mon rédac chef m’a dit : tu as jusqu’au début mai pour ton papier, cocotte (coco sonne mieux mais faut ce qu’il faut, le genre, c’est le genre). Je lui ai répondu que j’arrivais plus à rien ces temps-ci, que je savais plus écrire, que surtout tout était tellement ahurissant, et commenté avec un tel vacarme et une telle abondance, désormais, que je ne savais plus comment employer des mots alors que tous se démonétisent dans cet usage babelique. La « République », c’est le gimmick de Marine Le Pen. Les « réformes », celui de la droite la plus réactionnaire. Et le « vivre ensemble », ah, le « vivre ensemble »… c’est le fil rouge, durant tout un plateau télé sur la chaîne parlementaire, par exemple, de Henri Guaino, « mais je suis ici pour parler du vivre ensemble, je parlerai du vivre ensemble parce que c’est ça qui m’intéresse, vous voulez parler de l’immigration mais je ne suis pas venu pour ça, je suis là pour parler du vivre ensemble », citation de mémoire. Vous voyez le problème ? Vous voyez pourquoi j’ai du mal avec les mots, boss ?

D’abord, je n’y retrouve plus mon latin : comment peut-on affirmer que le champ « immigration » ne croise pas celui de la vie de la Cité, je veux dire, comment est il possible que cet énoncé soit prononcé, en logique ? Et surtout, pour continuer du point de vue du cuistre, on ne fait pas des noms communs avec des verbes impunément. Surtout celui-ci : vivre. Ce n’est pas une substance, c’est un flux, un verbe, pas d’état, mais d’action, un « procès », on dit, comme dans procéder, accéder, avancer, quoi. Un verbe comme ça, c’est fait pour dire que quelque chose se passe. Alors ça ne se fige pas, ça ne se définit pas, ça ne s’assigne pas : ça se découvre et se conjugue dans le temps, avec des modes, le tout créant une infinie beauté de possibilités et de nuances. Non, on ne peut pas figer « le vivre », par une frontière ici, une identité là. Et encore moins l’ensemble que la vie unit : « espace chaussure », oui, on voit bien l’unité, si tu n’es pas une chaussure tu n’appartiens pas à l’ensemble. Mais avoir besoin de définir les règles du « vivre ensemble » humain, on voit moins. Les prières dans la rue nuisent au vivre ensemble : non, elles montrent des humains qui vivent ensemble à un moment ponctuel, éphémère, suivant une combinaison qui marche grâce au beau temps ce jour là ; et vendredi prochain il pleuvra, ou l’imam sera enroué, ou il y aura une grève du métro, et ça marchera pas et on en aura marre de pas pouvoir avancer. La vie, quoi.

Elle s’improvise sans cesse et réussit justement parce que l’humain est obligé de s’entendre avec l’humain en le découvrant à chaque instant. C’est l’intention nécessaire vers l’inconnu qui génère sa compréhension, qui veut dire prendre ensemble, à peu de chose près. Ce n’est pas la tentative perdue d’avance de définir des règles spécifiques et de vouloir y coller : dehors et le vendredi, arabe et en France, pas en France et Français, banlieue et Champs Elysées, salariés et fonds de pension, etc. : plus les rôles et les identités seront assignés, moins on aura de mouvement entre les participants, moins on aura de vie. Que doit-on apprendre aux enfants, depuis les années 90 ? Quelle est la modalité recommandée par toutes les instances intellectuelles françaises et internationales ? La confrontation à une « situation-problème », qui commence par la mise au jour des conceptions et représentations qu’on se fait de la situation, que suivent un ajustement et une rectification des éléments erronés avec l’aide du maître qui fait éprouver les intuitions, qu’achève une formalisation consensuelle fixée avec clarté comme savoir disponible pour exercer une compétence dans la vraie vie. La vraie vie, les enfants, c’est la complexité, de plus en plus à votre époque car les interactions se sont démultipliées : il vous faut donc pouvoir mobiliser des ressources aussi variées et souples que possible pour cerner l’inédit qui se présente sans cesse dans des époques comme ça. Surtout que pendant ce temps, les vieux qui vous gouvernent se retranchent chacun dans sa citadelle de catégories, tranchantes.


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