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TRIBUNE : Dans l’entre votes : entre la contrainte stupide du scrutin majoritaire et la tentation du piège européen

vendredi 18 mai 2012
par  Gérard Bélorgey
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Le système institutionnel français, reconstruit selon un accord majorité /opposition de 2002, par le quinquennat et par l’élection du président avant celle des députés - aux fins de contrer les risques soit de cohabitations qui ont été caricaturées, soit d’obligation d’union nationale pour le changement, laquelle n’a jamais été recherchée et qui serait aujourd’hui si nécessaire face au conservatisme mercantiliste dominateur allemand - oblige à vouloir à tout prix une majorité législative quasi homogène confortant l’élection présidentielle.

D’où la manière dont le PS aborde les législatives comme avec une part d’inconscience, en ne tenant pas compte que son leader a été élu non par un vote d’adhésion, mais par un vote de rejet du président sortant : dans une Nation sans majorité et qui se répartit entre un tiers d’aimable sensibilité sociale-démocrate, un tiers de rudes partisans d’un modèle néo libéral autoritaire, et un tiers ( émietté entre droite « populiste » et ceux que nous appellerons des « socialistes souverainistes » dont nous nous sentons les plus proches ) contestant l’euro mondialisation.

Alors que, dans ces conditions c’est une majorité réellement plurielle qu’il faudrait à un chef d’État, le système conduit à lui fabriquer une majorité partisane qui, au prix de déformer le pays réel, au bénéfice aujourd’hui du premier tiers, est réputée lui permettre de gouverner, mais gouverner pour quoi et vers quoi ?

Il flotte sur ces législatives quelques incertitudes et même des vilenies : bien des électeurs socialistes n’iront pas voter pour les verts dans les circonscriptions qui sont théoriquement réservées à ceux-ci par l’accord partisan non démocratique passé entre l’appareil du PS et des écologistes aux ambitions démesurées ; et voilà de la perte en ligne que pourraient peut-être compenser des votes pour le Front de gauche, mais dont on ne sait s’il pourrait donner des éligibles de celui-ci au second tour… et comment faire alors s’il y a réservation de circonscription à un écologiste et donc pas de candidat socialiste, sauf à reporter sur le FG ? Mais place ne paraît pas vouloir être bien faite par le PS à ce Front de gauche, du moins pour l’instant dans des cas exemplaires.

Par exemple dans la 11ème circonscription du Nord Pas de Calais où la candidature Mélenchon ne conduit pas au retrait d’un parti socialiste qui considère apparemment plus important de chercher à rester titulaire du siège qu’à faire battre M. Le Pen. Le rapport de forces, si le PS reste en lice, n’étant sans doute guère favorable à Mélenchon, le PS parviendra à démontrer qu’il n’y a que l’extrême droite à réunir beaucoup d’électeurs contre l’euro mondialisation, ce qui fera l’affaire de ses européistes acharnés. Cette circonscription illustre les déchirements de fond de la gauche : on y compte actuellement le PS, le FG, sans doute une écologiste, et, en fait, la meilleure candidature qui soit quant aux prises de positions sur le fond : celle du M’PEP (que les média ne mentionnent jamais !) qui s’inscrit contre l‘euro mondialisation (et plus clairement que Mélenchon) jusqu’à laquelle on ne voit pas s’étendre la volonté d’union, malgré les propos de bon sens de la socialiste Marie-Noëlle Lienemann, pour laquelle la seule solution réside dans une candidature commune de la gauche : " Mélenchon a fait plus de 11 % à la présidentielle, il a affiché tout de suite son soutien à gauche : ça ne me paraîtrait pas illégitime qu’on l’aide à mener ce combat ", précise-t-elle.

Mais le PS est plutôt fermé à gauche, comme il le semble aussi à l’égard du Centre le plus proche : dans la 2e circonscription des Pyrénées-Atlantiques, contre l’avis de plusieurs dirigeants du PS – dont S. Royal - une candidature socialiste est finalement maintenue contre F. Bayrou. C’est non seulement indigne, c’est tout simplement malhonnête à l’égard d’un homme dont on peut ne pas partager des positions (et nous l’avons exprimé : il ne va pas au bout de la logique de la dé-bipolarisation en ne demandant pas l’instauration d’une proportionnelle généralisée ; il est trop classiquement - à la mode hollandaise ? - européen ; il croît trop au caractère inéluctable d’une austérité dont résulterait des coupes sombres dans les garanties sociales), mais qui a eu le courage de soutenir le candidat de ses valeurs républicaines, lequel lui doit une bonne part de sa victoire.

Ce serait un déshonneur pour la famille socialiste toute entière de laisser battre des personnalités qui ont contribué de manière décisive à l’élection de F. Hollande. Avec une telle conduite, il ne survivra même pas aux législatives cet "état de grâce" qu’on voudrait moins volatil pour cet homme manifestement sincère dans sa volonté de servir la France et - comme Chirac - si sympathique n’est-ce pas ? mais, de même, redoutable politicien, c.a.d. tueur en tant que de besoin, encore que le nouveau Corrézien est certainement plus porté à la conciliation et à la médiation que l’ancien ne l’était du temps de sa combativité Avec, manifestement en plus, selon une leçon gaullienne qu’il a discrétement faite sienne, le goût du secret, comme moyen de différer des risques d’affrontements et de mûrir des choses… mais qu’on ne perçoit pas bien, qui restent équivoques (on y reviendra in fine) notamment en matière européenne, sauf qu’il va manifestement essayer de jouer judicieusement la montre jusqu’aux élections allemandes. S’agissant des nôtres, un appareil socialiste impérialiste, comme à l’accoutumée ( sauf à l’égard des verts garantis par un accord dépassé) plus soucieux de sa force que des besoins du pays, d’une part n’honore pas des alliés majeurs de la présidentielle et cela ne devrait pas lui porter bonheur, d’autre part, un peu enivré par une victoire qui n’est pas la sienne, mais celle étroite d’un homme assez seul, méprise trop la réalité complexe des sensibilités de la France. C’est que ce parti n’a jamais voulu comprendre beaucoup de choses sur le plan international (son angélisme européen), comme sur le plan intérieur , et dans celui-ci, que le scrutin majoritaire (qui le pousse à cette ligne de conduite) est une erreur ; une erreur qu’il a cultivée comme moyen d’une alternance de combat ( celle du "grand schlem" consistant à écraser l’adversaire en mettant tous les œufs exécutif et législatif dans le même panier) ; est une faute qui sera un jour mortelle pour lui, ce qui n’est pas grave, mais pour le socialisme de progrès, ce qui l’est plus, s’il n‘en vient enfin à instaurer à la faveur de cette législature, une véritable proportionnelle dans un pays qui, sinon, la prochaine fois - surtout si l’Europe n’est pas sérieusement réformée ou cantonnée - penchera majoritairement à droite , et dans une droite qui, plus ou moins réunifiée, l’emportera naturellement au scrutin majoritaire.

Il faudrait enfin que les socialistes comprennent un jour qu’il n’y a pas de bonne issue à la répartition de la France entre les trois grandes tendances précitées (ceux qui veulent le modèle libéral autoritaire et qui sont cohérents, ceux qui croient à la possibilité de justice sociale sans changer de stratégie économique mondiale et qui s’abreuvent d’illusions ; ceux qui, à droite ou à gauche, constatent qu’il n’y pas de chances pour le changement sans remettre en cause l’euro mondialisation), oui, qu’il n’y a pas de bonne issue politique dans ce pays en maintenant le scrutin majoritaire lequel, soit livre l’État aux premiers, soit porte les seconds à faire une politique qui ne pourra guère s’en démarquer que par le style et par une volonté de justice difficilement traduisible dans la réalité. À droite, déjà aujourd’hui, il est bien clair que la proximité idéologique d’une part de l’électorat FN et d’une part de l’électorat UMP rendra bien difficile - accord local, explicite ou plutôt implicite, ou non - qu’il n’y ait pas pour le second tour large report au bénéfice du mieux placé des droites, lequel serait alors un redoutable challenger pour le candidat socialiste. Et voilà qui n’augure rien de bon sinon pour demain, du moins pour 2017.

En attendant, sans que je sois – ni par moi-même bien sûr, ni au vu d’études générales en fait opaques de cartographie électorale – apte à un pronostic assuré, je reste circonspect sur ce que cette consultation électorale peut engendrer comme majorité. Il y en aura-t-il une ? Si elle existe, ne sera-t-elle très composite alors même qu’elle référerait au président élu ? Celui-ci, en effet, a bénéficié de familles si diverses pour réussir son opération présidentielle que cette diversité doit forcément se traduire dans des sensibilités significativement différentes au sein des rangs des futurs députés et ceci, même s’ils sont élus sous l’étiquette PS qui recouvre en fait des conceptions stratégiques pouvant être conflictuelles (de Sapin à Montebourg, s’ils n’ont pas changé…) sur le rapport de la France à l’euro mondialisation .

Pour notre part nous partageons largement l’analyse (et les inquiétudes sur le risque d’une abdication française…) de J. Sapir produite par"Marianne 2" le 12 mai : “ Hollande ne pourra réorienter l’Europe sans provoquer une crise”. (voir http://www.marianne2.fr/Sapir-Holla...)

Pour ceux qui se ressentent proches des socialistes souverainistes, il est évident qu’à peine arrivé, F. Hollande est pris au piège de l’Europe ; notre espoir est qu’il sache prendre ses distances avec l’ascendance mitterrandienne qu’on lui prêtre trop [1] et qu’il sache ruser avec celle-ci. D’abord, il n’a rien à gagner à répondre vite sur le fond aux convocations de la patronne allemande du libéralisme de combat (c’est là où il faut « du temps au temps », celui de rentrer dans ses fonctions et d’ajuster une stratégie), pas plus qu’il n’a motif de prendre aujourd’hui une position bien originale sur l’affaire grecque (même s’il entend l’opinion française qui ne comprend pas l’acharnement thérapeutique à maintenir les Hellènes dans la zone euro, au moment où même des journalistes - tout à fait orthodoxes comme l’inquisiteur libéral des candidats présidentiels, F. Langlet - laissent enfin percer l’hypothèse qu’il vaudrait mieux essayer de chercher à les aider à en sortir …) .

Il devrait surtout , sur le cœur actuel du débat, laisser entendre que quelle que soit en définitive une éventualité d’accord sur un pacte budgétaire assorti de telle ou telle fausse fenêtre sur la croissance (dont on rappelle qu’elle ne servirait pas à grand’chose sans une part de protection commerciale et sans contrôle des mouvements de capitaux) , il se pourrait bien qu’il soit politiquement obligé de tout soumettre au référendum … Mais peut-être, en souvenir de 2005, n’aimerait-il pas cette arme qui garantit le renvoi par le peuple de tout accord nous faisant passer sous les fourches caudines de la règle d’or.

De toute façon, rien ne presse pour finaliser ces affaires avant l’installation d’une nouvelle Assemblée, le gouvernement désigné pouvant bien n’avoir avoir qu’un caractère de transition (et d’ailleurs, si je conseillais, en définitive j’exprimerais la préconisation de nommer pendant cette période intermédiaire une personnalité non élue issue de la société civile pour diriger une équipe technique en attendant la nomination d’un gouvernement issu des sensibilités exprimées par l’élection législative elle-même).

C’est en fonction des rapports de force que traduira cette géographie de l’Assemblée que pourra, sans doute, être affinée la stratégie rusée qu’appelle, en réponse ce qui est un véritable souverainisme européen : la prétention de l’Europe et notamment de la Commission à tout estimer, à tout prévoir, à tout juger, à tout préconiser. Il est inadmissible qu’avant même l’entrée en responsabilité d’une nouvelle gestion française, une autorité apparemment technocratique - mais en vérité profondément politique c’est-à-dire constituant l’expression du néo libéralisme conservateur mercantiliste dominant soutenu par toutes les cabales bancaires et financières - exprime à l’avance ce que seront les résultats de ce que pourra ou ne pourra pas faire notre autorité nationale exécutive, parce que celle-ci vient apparemment d’échapper – espérons-le - à ses diktats, sinon à son influence.

Nous avons bien qu’il va falloir améliorer la compétitivité française. Il n’appartient pas pour autant, à une autorité non démocratique de nous dire qu’il faut supprimer les principales protections dont bénéficient les salariés et comment soumettre les demandeurs d’emploi à la pression d’un besoin de revenus de remplacement quels qu’ils soient afin qu’ils retravaillent, comme en Allemagne, à n’importe quelles conditions. L’assouplissement par accord entre partenaires sociaux des règles du marché du travail est – chacun le sait et l’accepte qui a connu de telles situations - à rechercher pour faire face à des irrégularités des plans de charge d’une entreprise, mais ne doit pas être rendu obligatoire par voie législative pour mettre les travailleurs sous le boisseau des menaces de licenciement , de réduction de rémunération, de travail gratuit supplémentaire et de délocalisations en Europe de l’Est, en Afrique ou en Asie . Notre compétitivité est d’abord de maintenir l’avance de la productivité française, notamment dans l’industrie, vis-à-vis de nombre de nos voisins, bon indicateur tenant en particulier à nos climats de relations sociales qui peuvent être dures, mais qui ne freinent pas, comme on le voit parfois ailleurs, par hypocrisie de consensus entre patrons et ouvriers, l’engagement de chacun dans son travail. Cette capacité compétitive est encore à améliorer en soutenant les facultés de créativité par la négociation entre les partenaires sociaux et par des possibilités nouvelles de recours au crédit. Au delà, nous avons bien sûr à soulager le coût du travail des charges de cotisations sociales et notamment de celles des allocations familiales. À ce titre il est évident que le refus de principe par les socialistes de la TVA sociale a été une grave erreur, alors même que le bénéfice de ce transfert aurait pu être ciblé et devrait être ciblé au seul bénéfice des entreprises exposées de l’agriculture, de l’industrie et des transports. Mais le gouvernement quel qu’il soit ne pourra rester longtemps devant ce besoin d’allégement : il faudra trouver, si ce n’est par transferts sur la TVA, mais sur une autre ressource fiscale ne pesant pas sur les entreprises, les moyens d’un tel allégement, tant il est vrai que le financement sur le coût du travail des allocations familiales est une absurdité et que le vrai reproche à faire à la gestion précédente est de s’y être pris trop tard et de manière mal ciblée.

Nous savons bien que, malgré les travaux de la LOLF et ceux de la Cour des Comptes, des déficits ont été accumulés par l’aspect répétitif des budgets nationaux sans une analyse suffisante de ce qui était vraiment indispensable et de ce qui ne se justifie pas véritablement. La difficulté de mise en œuvre de l’esquisse présentée par François Hollande est que le principe de discipline des budgets ne s’est pas accompagné d’indications suffisamment directives aujourd’hui sur les économies qu’il convenait de faire au regard des réels besoins dont la satisfaction est à sanctuariser (comme dans le domaine de l’assurance-maladie et de la santé) .

Parvenir à ce tri suppose une capacité de négociation et de résistance à l’égard d’un certain nombre d’abonnés à la dépense publique y compris pour de bonnes causes en matière d’emploi, comme dans les cas de ces travaux d’équipement et d’ingénierie de toute nature qui n’ont aucun caractère d’urgence, voire de nécessité, et qui sont bien souvent conduits en fonction du besoin de plans de charges des entreprises qui les réalisent ; de même, en matière de fonctionnement, et dans le champ des si diverses dépenses d’interventions, peut-on trouver de très nombreux et coûteux perfectionnismes pour la conduite d’opérations certes sympathiques ou souhaitables, mais qui n’ont aucun caractère impérieux alors que des priorités incontestables ont été négligées (sécurité, justice, éducation) tandis que bien des dépenses méritant débat et certaines niches fiscales n’ont été soutenues que par des effets de lobbyings ou de modes (le regretté professeur Jacques Marseille en donnait déjà il ya quelques années de nombreux exemples qui n’ont pas été résorbés ).

Il faut aussi apprécier que le Président ait mis à son programme, du moins selon « un abécédaire du Hollandisme » présenté dans le Monde par Françoise Fressoz, une forme de « décentralisation » qui consisterait à donner l’autonomie fiscale aux collectivités locales et, en contrepartie, obtenir d’elles une gestion rigoureuse. Il n’y a pas, en vérité , d’autres espaces techniques pour plus de décentralisation car d’un côté, il va de soi, sans réformes de répartition des pouvoirs, que « dans chaque région(doit exister) une plate-forme d’accueil où les entreprises pourront trouver de l’information et de l’aide » et, d’un autre côté, il est clair qu’il serait bien dangereux de donner un quelconque pouvoir normatif aux départements ou régions , ce qui morcellerait l’unité/égalité du droit français.

Mais il faut bien mesurer ce que représente comme révolution l’accession des collectivités locales - dont plus de la moitié des ressources proviennent de recettes de transfert, ce qui n’est justifié que pour la part de péréquation surtout entre communes de richesses très inégales – à « l’autonomie fiscale » restant d’ailleurs à définir plus précisément.

Aujourd’hui, nos collectivités locales n’ont aucune capacité pour déterminer et choisir leurs instruments fiscaux ; elles n’ont aucun pouvoir de définition (création, construction) des impôts leur bénéficiant, mais seulement la compétence de pouvoir moduler les taux et productivités des impôts qui leur sont affectés par le pouvoir central. Une importante occasion manquée a été le non établissement en 1967 lors de la loi foncière d’une « taxe sur les constructibilités » qui aurait offert (aux communes en particulier ou à leurs regroupements autour d’opérations d’aménagement et construction ) une capacité de maîtriser l’urbanisation, de financer partie des équipements publics nécessaires induits, d’en répartir équitablement les charges entre nouveaux et anciens habitants et de se créer des ressources liées de manière cohérente à leurs choix d’urbanisme ; mais ce volontarisme allait à l’encontre de la soif de vente des terrains et d’obtention des constructibilités au coup par coup, en bref de la spéculation immobilière et de la loterie de répartition des coûts de la densification de l’habitat.

Ne donnons donc surtout pas aux communes qui en abusent ou en mésusent de nouveaux pouvoirs en matière d’urbanisme, mais, effectivement, cherchons comment les collectivités locales pourraient recevoir des facultés de définir, donc de créer, leurs propre outillage fiscal éventuellement original, d’autant que presque tous les impôts facultatifs ont disparus et que, par ailleurs, la suppression de la taxe professionnelle, a aggravé l’insuffisance de la dose d’autonomie financière et donc de responsabilité corollaire des collectivités locales dont les ressources non fiscales sont trop importantes (ce qui tend d’ailleurs à être vrai assez largement en Europe) [2]. S’il est sans doute peu concevable de partager un grand impôt entre État et autres collectivités ( car la gestion en deviendrait malcommode et inégalitaire), pourquoi ne pas accorder aux collectivités territoriales des facultés d’imagination et de construction d’une part de leurs propres impôts ? (par exemple, sur tel ou tel acte de gestion foncière ou de construction ?- ce qui serait cohérent avec le transfert aux conseils municipaux et aux maires des compétences en matière d’urbanisme - ; ou sur telle ou telle source d’énergie ? ce qui s’autorégulerait par les comparaisons entre collectivités ) et donc d’accéder à des responsabilités politiques et économiques correspondantes . Pourquoi ne pas imaginer de transférer un jour à un niveau territorial adéquat le choix d’utiliser ou non, et comment, et jusqu’où, un impôt important mais contesté et à gestion sensible comme l’ISF qui pourrait être affecté aux Régions, avec responsabilité des taux de celui-ci, de telle sorte que cet échelon régional devienne réellement le champ de certains choix économiques et sociaux, de responsabilités et d’enjeux de pouvoirs ? En bref plus d’autonomie, plus de fonction de contrepoids pour les pouvoirs locaux implique qu’elles puissent avoir un réel pouvoir fiscal.

En attendant telle révolution, il est certain qu’aujourd’hui les dépenses des collectivités locales qui pèsent dans la dette pourraient - comme l’entendait bien d’ailleurs la gestion précédente – être plus modérée. Cette dépense ne peut être sensiblement réduite dans le domaine des missions capitales de base : action sociale ; constructions scolaires ; dans une certaine mesure - car ce doit être sous bénéfice d’inventaire de ce que financent vraiment les Régions - en matière de formation professionnelle ; pour la distribution des eaux et les traitements des déchets trop confiés encore à des opérateurs privés ; pour pallier par des services publics indispensables le vide des « déserts » ruraux. Mais la modération devrait devenir la règle d’une part dans un certain nombre de dépenses de fonctionnement (plus encore les frais généraux que les personnels) et, d’autre part, dans le secteur des équipements : malgré encore quelques lacunes, certains équipements locaux sont souvent redondants et ne répondent pas toujours à des besoins urgents. Responsables d’une grande part de la dépense sociale nationale hors sécurité sociale, maîtres d’ouvrage de deux tiers des équipements publics, les collectivités locales doivent effectivement être responsabilisées par des facultés de choix des assiettes et des niveaux d’impôts ; voilà ce qui auraient dû suivre la vague décentralisatrice de 81/82 , mais ce qui n’a jamais eu lieu parce qu’il a été trop facile que l’État assume l’impopularité de l’impôt tandis que bien des élus locaux bénéficiaient de la popularité des dépenses. Et c’est cela qui doit fondamentalement changer.

La nécessité d’un allégements du coût du travail exposé à la concurrence internationale (ce qui est la bonne voie, fut-ce par l’augmentation de la fiscalité indirecte, car tout a un prix , à l’opposé des mauvais procédés qui sont de créer la pression sur les salariés et sur les demandeurs d’emploi par la réforme des règles du marché du travail et par celle de l’indemnisation du chômage) et la nécessité d’économies substantielles et tout à fait susceptibles d’être trouvées sur les dépenses d’équipement, d’interventions et de fonctionnement de l’État et des collectivités locales n’effacent pas qu’une Nation souveraine assumant ses responsabilités doit avoir celle de ses choix de financements : en n’étant pas exposée au chantage des moins-disant fiscaux, en n’étant pas exposée au bon vouloir et aux conditions des marchés pour couvrir ses besoins d’emprunts. L’État doit donc pouvoir s’adosser financièrement à une Banque Centrale devant participer à une stratégie politique et consentant ses prêts à un taux proche de zéro, au moins à un taux non supérieur à celui accordé aux banques.

Si l’Europe attend de nous économie et compétitivité nous attendons d’elle harmonisation fiscale et réforme radicale du système actuel bancaire central européen. Il nous faut retrouver la capacité nationale d’autodétermination que la construction d’une Europe élargie, mais incohérente et autoritaire nous a ôtée.

Et ce qui est à redouter, derrière le secret ou le flou présidentiel, c’est la tentation d’une autre voie : celle d’une Europe plus resserrée, autour d’une monnaie unique sauvegardée, recevant par nos abandons de souveraineté, après la compétence de commerce extérieur et le pouvoir monétaire qui sont déjà dévolus l’une à la Commission, l’autre à la BCE, tous les pouvoirs budgétaires, fiscaux, et de réglementation du marché du travail, de législations économiques et sociales, de relations financières entre pouvoir central et collectivités secondaires. Telle uniformisation - forcément selon le dénominateur commun qu’imposeraient les dominants - est très clairement le schéma qui inspire les think tanks influents (dont on peut consulter les travaux) comme la Fondation Schuman ou Europ Activ, voire Confrontations.

Or toutes ces perspectives reposent sur la méprise fondamentale de référer aux États Unis pour penser une reconstruction européenne, alors que les Nations de notre continent ne partagent ni la même langue, ni une culture uniforme, que certains droits fondamentaux, comme celui de la nationalité, comme ceux des collectivités territoriales, comme la portée de la notion d’égalité, etc... sont conçus, ici et là, de manières différentes, qu’il n’y pas une mobilité humaine qui puisse s’instaurer – même si les habitants des pays pauvres commencent à venir chercher leurs emplois dans les autres – à l’identique de ce qui se passe dans un modèle étatsunien d’ailleurs peu enviable.

Enfin, comme à l’évidence un véritable État fédéral démocratique serait bien loin de pouvoir voir le jour, le pilotage d’un tel ensemble reviendrait , en réalité, sous la réserve d’une capacité d’influence d’un incertain Parlement européen, à une gouvernance technocratique vis à vis de laquelle les communautés et les citoyens n’auraient guère plus qu’aujourd’hui - où le pouvoir apparent est dévolu et sanctionné dans des périmètres nationaux dessaisis de compétences essentielles - de fait, aucun recours.

On répète toujours que l’Histoire s’accélère. Il faut bien percevoir les tournants sur lesquels elle risque de s’emballer vers l’inconnu. En fait , nous pensons savoir un peu ce à quoi nous avons échappé par le vote du 6 mai ; mais nous ne savons rien de ce que nous prépare l’addition des scrutins présidentiel et législatif et celle des votations françaises et allemandes, ainsi que leur combinaison avec les grandes manœuvres italiennes et espagnoles qui, pour être difficiles, n’en sont pas moins en cours dans le sens du maximum de transferts aux technocraties incontrôlables.

Le risque demain c’est la tentation du rêve européen. Alors que le succès ou non des mandats qui commencent ne pourra être mesuré que par l’évolution du marché de l’emploi national français.

[1] Rien n’est pire pour nous - et pour lui - que de le voir dans Marianne, où Domenach est, lui, heureusement bon, salué par J. Julliard comme « François II » !

[2] Sur la complexité de ce débat voir à la fois Pouvoirs locaux N° 83, « Les tabous de la décentralisation » et le dossier de base de la documentation française (in « Regards sur l’actualité » N° 359 de mars 2010 « vers une réforme de la fiscalité locale » )

Le blog de Gérard Bélorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


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