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DE LA SOFRES A QUIMPER

vendredi 8 novembre 2013
par  Gérard Bélorgey
popularité : 36%

Ce que TNS Sofres 2013 titre « L’état de l’opinion » aurait pu s’appeler « Petit habile manuel de conditionnement du citoyen ». Ce dernier numéro de cette célèbre publication annuelle s’ouvre d’abord largement sur l’interrogation nostalgique : « Comment Sarkozy a-t-il pu perdre la présidentielle 2012 ? » Et préparer du même coup la prochaine...

O. Duhamel et Lecerf (DG de SOFRES) présentent en ouverture ce qu’ils ressentent comme huit paradoxes de cette présidentielle, encore qu’on ne voit pas ce que ceux-ci peuvent expliquer du résultat : pourquoi "la mobilisation" (citoyenne) malgré "la défiance" (envers les politiques) aurait-elle diminué les chances d’un débat de fond si les candidats majeurs avaient bien voulu traiter des vraies questions au lieu de se dérober ? Rien pour nous dire comment « le poids des meetings à l’ère des écrans » a pu brouiller les cartes. Comment, sinon en souvenir de la fable, la tortue Hollande devint favorite par rapport au lièvre Challenger ? Est-ce que « l’alternance annoncée » pouvait être une méthode Coué socialiste ? Malgré les « mutations du lepénisme », comment « la bipolarisation incontestable mais précaire » a-t-elle été de avec "l’absence de rêve" débouchant sur "les frustrations" ? Sinon précisément parce que « la gauche alternative » a été obligée de faire le lit de « la gauche réaliste » ? Voilà qui débouche sur la banalité qu’exprime la phrase terminale de leur introduction : « il paraît impossible de satisfaire à la fois ceux qui aspirent à un changement profond du système économique et social et ceux qui attendent simplement qu’il soit géré de façon un peu plus équitable et efficace », tandis que d’ailleurs une majorité de chacun de ces deux courants là est aujourd’hui insatisfaite vis-à-vis du président en place, lequel – bien que cette publication ne réponde jamais en clair à cette question – a été manifestement élu par défaut.

Et par défaut de la part de son prédécesseur de saisir les bons tournants ? N’est-ce ce que Jean-Pierre Raffarin propose à son tour comme explication : en soutenant que si l’une seulement des cinq occasions suivantes (un changement de premier ministre ; une gestion plus respectueuse des élus locaux pour éviter la perte du Sénat ; un cap moins résolument droitier ; une campagne conduite de manière moins solitaire ; un grand débat télévisé qui eut offert un président de rassemblement et non la stratégie du clivage), son candidat (du bout des lèvres ?) n’aurait pas été battu ; comprenez « s’il m’avait écouté ».

Mais à l’inverse Guillaume Peltier, en tant évidemment que porte-parole de Nicolas Sarkozy en 2012 et de secrétaire de l’UMP aux études d’opinion soutient, lui, que son candidat a fait "la meilleure campagne possible". N’a-t-il renversé tous ces signaux qui étaient au rouge en début de campagne (risque d’une disqualification au premier tour, déficit d’image, candidature peut désirée, retard dans les intentions de vote), en gagnant la bataille du bilan ( si celui-ci est globalement mal perçu, par contre toutes les "réformes" accomplies ont été appréciées par une majorité des Français) et la bataille des idées (l’opinion adhère aux propositions de Nicolas Sarkozy : être plus exigeant à l’égard des chômeurs et des assistés, diminuer par deux l’immigration, faciliter les expulsions, renégocier Schengen, frapper les exilés fiscaux, mieux taxer les grands groupes français présents à l’international). Les idées qui apparaissent dans cette bataille semblent un peu courtes, mais Guillaume Peltier lui n’est pas en reste pour célébrer la révolution accomplie à droite par son héros dont la France aura - faut-il comprendre - encore bien besoin, car c’est cette « France des oubliés, des ruraux, cette France périphérique inquiète pour son identité et la perte de sa souveraineté, en quête de protection et des repères stables que sont les frontières ou la Nation comme réponses aux désordres de la mondialisation dont ils ont été les grands perdants...a été incarnée représentée par la campagne de Nicolas Sarkozy. ».

Et Sofres 2013 n’en est pas à un point de plus ou de moins comme contradictions (c’est le "pluralisme" des "politologues" : dans une autre contribution (L’Europe dans la crise), celle de Leendert de Voogt (Global sector head opinion du groupe NTS, et l’on voit bien ce que cela veut dire !) - après qu’il nous ait été sentencieusement expliqué que les pronostics que l’on peut faire à l’égard de l’Europe sont liés à la confiance qu’elle reçoit, que l’on doit y parvenir « en éliminant le filtre des États », que « l’euro n’est pas un problème » , que l’Union selon ce que pense la majorité des Européens sortira grandi des crises - on vous invite à constater combien « ces quatre dernières années ont sans doute démontré à quel point l’union européenne était synonyme de protection » !

Malheureusement les Français dont trop ne rêvent que d’un glorieux passé fumeux dont la lumière n’est plus guère perçue par les étrangers – comme s’en délecte, ainsi qu’à l’accoutumée dans les colonnes de l’Express, cette espèce de décliniste délétère de Christophe Barbier – ne veulent pas reconnaître qu’ils doivent se métamorphoser alors qu’ils ont « trahi l’Europe lors du référendum de mai 2005 » et qu’ils ont besoin d’un grand chef comme François Mitterrand pour les remettre sur le bon chemin d’ "être pleinement européens".

La très fine contribution de Nicolas Sauger ("Citoyens et candidats en 2012 : convergence ou divergence de vue ?) ne peut que le rassurer : si François Hollande (dont l’électorat est – voilà où a mené la xénophobie islamophobe - bien moins ouvert que lui-même à l’accueil de nouveaux migrants) et Nicolas Sarkozy divergent sensiblement sur l’immigration, sur la part de nucléaire, sur augmenter ou réduire le nombre de fonctionnaires, « ils sont en revanche perçus tous les deux comme en accord général sur la question de l’intégration européenne. Ils sont les deux candidats penchant le plus en faveur d’un renforcement des pouvoirs de l’Europe plus que de ceux de l’État français ». Quand Marine Le Pen incarne une priorité exclusive donnée et à donner à l’État français, Jean-Luc Mélenchon, en parallèle, apparaît finalement modéré sur ce thème (et effectivement, à nos yeux, le Front de gauche sans mettre clairement en cause le libre échange et l’euro, s’en prend au "capitalisme financier", comme si celui-ci ne prospérait pas grâce à ces deux facteurs) . Et pourtant, comme en 2005, l’opinion est beaucoup moins favorable que les "élites" à l’intégration libérale européenne « Globalement, on notera le décalage palpable entre le positionnement des principaux candidats favorables à l’Europe et le jugement nettement plus réservé de leurs électorats se situant tous sans exception, du côté de l’État français plus que de celui de l’Europe ».

Au delà de ce papier, la question de la présence de l’Europe dans la campagne a été moins posée qu’elle n’apparaît dans l’aveu des "non dits" (à la faveur du seul article un peu iconoclaste, celui du chercheur Emmanuel Rivière : « d’une impopularité à l’autre ; l’impuissance présidentielle face aux angoisses françaises »). Après « une élection sans illusion » conduisant à glisser de l’illusionnisme au contorsionnisme, « les lourdes contraintes » que le pouvoir accepte comme postulat de gestion font que « les Français de toutes conditions et plus ou moins douloureusement, comprennent que les sources et les solutions de nos problèmes ne se situent pas uniquement dans l’Hexagone". Et que contraintes comme opportunités se trouvent dans l’espace communautaire.

De là trois options découlent logiquement. Revenir sur nos engagements européens, remettre en cause le modèle économique européen, ou chercher à être le plus performant possible dans le cadre existant. Les adeptes les deux premières options ont, aux deux bornes de l’échiquier politique, leurs adeptes et leurs porte-paroles mais ils ne convainquent pour l’instant pas assez pour prétendre devenir majoritaires tandis que les deux forces politiques à vocation majoritaire cohabitent dans la troisième option, tout en divergeant (encore ?) sur ce qu’est la performance économique et sociale et la manière d’y parvenir.

Dans tout l’ouvrage il n’en sera guère dit plus sur les questions européennes que lors de la présidentielle : faisant le pendant avec G. Peltier, Lucien François (comme délégué national aux études d’opinion du parti socialiste) réussi la prouesse de s’interroger pendant près de 20 pages sur « la volonté populaire enfin juge de l’action politique ? » Il était temps ! Dans un télescopage de la question et de la réponse qui laisse pantois sur le fait que le débat européen se résume, après qu’il ait évoqué 2005, puis "la triple insécurité (sociale, sécuritaire, identitaire) traversant l’électorat populaire, à ce qu’il faille parler et … réussir sur les sujets essentiels", sans qu’il soit jamais parlé du piège européen. Il est bien vrai que la présidentielles 2012 n’a renvoyé en aucun cas à l’approfondissement des trois options ci-dessus. Sans doute est-ce pourquoi notre ouvrage s’attarde, sous la plume de F. Kalfon, dans des clivages dépassés et dans le recours aux mythes chimériques pour faire semblant d’expliquer le panorama.

La publication en vient quand même à se trouver obligée de poser une ou deux questions essentielles : Il y a-t-il encore "un peuple de gauche" ou, sinon, est-il en train soit de basculer du côté du Front National, soit d’évoluer vers un conglomérat à "la Terra Nova" dans lequel pourrait finir de se dissoudre d’anciennes "classes sociales" et leurs obsessions ?

Les réponses semblent pourtant évidentes. La première est que sorti de l’invocation d’un peuple mythique de gauche, le pouvoir doit faire avec un pays réel qui a toujours été arithmétiquement de droite ! - le FN n’y comptant que pour une part, à côté des vieilles forces porteuses des intérêts établis qui ont trouvé un vigoureux sang nouveau dans l’obligation qu’apporte le libre échange d’écraser le coût du travail et des services collectifs. La seconde est que " Terra Nova " à nos yeux illustre tout simplement que nous avons sombré dans le double libéralisme. D’un côté dans celui de l’économie libérale dans laquelle tout le monde est voué à la compétition (cet ouvrage Sofres contribuant à formater habilement ses lecteurs en ce sens) ; d’un autre côté, comme pseudo compensation de gauche, dans ce libertarisme culturel et de mœurs qui est affiché comme paradigme de la vie sociétale, ainsi qu’en témoigne parfaitement le papier (de G.Gault) extrêmement partisan sur l’homosexualité et ses progrès dans la conscience publique (ce dont on est manifestement invité à se féliciter) : "ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ?".

Libéralisme économique et social et libertarisme sociétal et culturel sont les deux mamelles de la société contemporaine prétendant faire couler le lait des succès et des plaisirs. Ce sont d’ailleurs les deux soupes que ne cessent de nous servir bien des médias - car ils en vivent -en y joignant désormais bien souvent, pour être dans le vent qui traverse tous les électorats, une bonne louchée d’hostilités ( c’est le moins qu’on puisse dire ) à l’encontre de tant, de "trop" d’immigrés : c’est le seul terrain des opinions communes, l’allergie que partagent trois rassemblements de victimes, d’opposants ou de frustrés : ceux qui rejettent le libéralisme comme celui-ci les a rejeté dans le chômage ou l’exclusion et parce que la pression concurrentielle leur apporte le malheur ; ceux qui ne peuvent adhérer au libertarisme parce qu’il menace ces bonheurs familiaux et simples que garantissaient leurs valeurs traditionnelles jetées aux orties ; ceux qui ne peuvent adhérer à l’hédonisme parce que lorsqu’on n’en a pas les moyens c’est, sauf à casser, plutôt le supplice de Tantale.

Autant de protestataires qui manifestent souvent bien fort mais séparément, jusqu’au moment où un détonateur inattendu - un truc presqu’endormi mais dont il s’avère que l’affichage un jour affecte les intérêts déjà bien menacés de tous - les rassemble massivement malgré leurs différences, dans une même colère, sous les mêmes "bonnets rouges" pour ne mener nulle part - comme la plupart de ces révolutions de rue qui n’unissent qu’un instant des ressorts différents, des passions incompatibles, des intérêts opposés - oui, pour mener nulle part... si ce n’est pas une occasion, en sortant des clous, de se poser enfin les bonnes questions.

Le blog de Gérard Belorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


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