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Gisela João au Théâtre de la Ville : Le triomphe de la jeunesse

samedi 20 juin 2015
par  Jean-Luc Gonneau
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Gisela João est encore à Lisbonne ce soir là. Au bout du fil, une voix interrogative, doucement voilée, pas tout à fait rauque, genre Lauren Bacall toute jeune. « Ah, oui, Lusojornal, oui, on m’a prévenue, alors, dites moi ». C’est plutôt à vous de me dire, si ? Donc elle dit : « le fado, je l’ai chanté toute petite, je devais avoir sept ans quand j’ai entendu à la radio un fado d’Amalia (qu’elle chantera lors du concert) qui m’a bouleversée. Après, j’ai chanté dans des fêtes de famille, pour des amis, dans des soirées de fado vadio, puis dans une maison de fado à Porto, je suis du nord, de Barcelos, puis je suis venue à Lisbonne, au Senhor Vinho, et maintenant, c’est beaucoup de concerts, avec de beaux voyages et jeudi, c’est Paris, dans un grand théâtre. Je n’y crois pas encore, c’est un rêve ! » De Senhor Vinho, qui vit passer tant de jeunes débutants maintenant artistes consacrés, Joana Amendoeira, Mariza, Antonio Zambujo et d’autres encore, elle garde de précieux souvenirs : « Maria da Fé (la patronne du lieu et référence du fado) demeure une de mes sources d’inspiration. Camané aussi a été de bon conseil. Si je chante un fado plus moderne ? Non, je ne crois pas. Bon, je choisis des textes nouveaux, mais pas seulement. Vous verrez, il y aura deux fados d’Amalia, un créé par Carlos Ramos il y a des décennies et d’autres textes anciens aussi ».

Accompagnée par les excellents Ricardo Parreira à la guitare portugaise (comme son père Antonio, comme son frère Paulo), Nelson Aleixo à la viola et le jeune Francisco Gaspar à la viola baixa (excellents mais un peu austères), Gisela João entre en scène. De quoi faire s’étrangler les tenants d’un fado où la robe doit être noire et longue, le xaile de rigueur, le port altier. Nan, nan, nan, Gisela porte une sorte de robe tunique, mi robe de plage, mi chemise de nuit, d’un blanc immaculé, qui monte bien au dessus des genoux, commence assise son premier fado, se tourne un peu vers les musiciens lors de son second (deux fados lents, deux beaux poèmes, Naufragio, et Madrugada sem sonho), enlève ses chaussures lors du troisième, rapide, car « on dit que le fado est triste, ce n’est pas vrai, le fado, c’est la vie, elle est triste, elle est joyeuse, elle est tout ! » et sur ce fado, comme sur tous les fados rapides de la soirée, elle dansera, sans souci de chorégraphie, mais comme ça vient, comme on le ferait dans une soirée entre amis. Plus tard, lors de la traditionnelle guitarrada, elle disparaitra un instant, revenant chaussée de baskets. De quoi enrager les « tradis » du fado. Elle explique aussi qu’il est important pour elle que les spectateurs non lusophones comprennent le sens des poèmes qu’elle chante. Alors, elle a préparé des textes, confiant avec une naïveté calculée qu’elle a utilisé un logiciel de traduction automatique, ce qui donnera tout au long de la soirée quelques gags, dont le premier : elle a écrit Boa noite, le logiciel est imperturbable et traduit : bonne nuit, au lieu de bonsoir.

Et puis il y a le sourire, un sourire lumineux, qui fait penser parfois à une petite fille toute fiérote d’avoir réussi une belle performance, ou d’avoir joué un bon tour. Et enfin, et surtout, Gisela João est une fadiste de grande qualité. Voix basse, voilée on l’a dit à la limite du rauque, très attentive au texte, intégrant au chant des souffles sensuels. Capable de virtuosités vocales : son interprétation d’une nouvelle version de Vou dar de beber à dor prise à une cadence effrénée, avec un texte qui allie clins d’yeux aux grands anciens qui ont chanté Mariquinhas (Marceneiro, Amalia, Herminha) et allusions aux tourments actuels du Portugal (« que mesmo sem ditadura, Hoje em dia até as vacas são lingrinhas »… « Até ja não tem penhores, Por que mais ninguém tem ouro nas voltinhas »…) est à la fois drôle et virtuose. Lors du rappel, Gisela nous offrit deux fados, un fado menor dans la grande tradition émotionnelle, et pour finir le fado corrido de Manuel d’Almeida, avec le texte d’origine, et le rythme d’enfer qui le caractérise : peu de fadistes s’y sont risqués. Gisela, si, et avec le sourire.

Avant cela, nous eûmes droit, entre autres friandises, les deux chansons du répertoire d’Amalia, celle empruntée à Carlos Ramos, le célèbre Não venhas tarde, « chanson de mec » par excellence mais Gisela n’en a cure, quelques refrains en français a capella empruntés à Brel et Piaf, une « fadisation » d’un samba célèbre (As rosas não falam) du grand Cartola, figure de légende du samba carioca, des malhões et des viras, et encore et encore des fados. Et encore et encore du bonheur. Revenez vite à Paris, Gisela, votre sourire, votre allégresse, votre talent nous manquent déjà.


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