https://www.traditionrolex.com/18 ANTONIO ZAMBUJO, L'ENCHANTEUR IRONIQUE - La Gauche Cactus

ANTONIO ZAMBUJO, L’ENCHANTEUR IRONIQUE

lundi 16 novembre 2015
par  Jean-Luc Gonneau
popularité : 92%

Antonio Zambujo est une sorte de barman musical. Ses bouteilles ? Du fado, une ample collection, à vue d’œil assis devant le bar, 70% du total, mais aussi du Brésil (cachaças ?), du jazz (Bourbons ?), quelques solides gnôles (aguardentes ?) de son terroir natal de l’Alentejo, une peu de fanfares (bières ?) et même, cette fois, un zeste de France (champagne ?). Avec tout ça, il nous compose des cocktails fameux, dont le public du Casino de Paris a, avec juste raison, raffolé. Servis par un personnel musical de première bourre, le contrebassiste et directeur musical pilier du groupe Ricardo Cruz, le jeune violiste Bernardo Viana, 17 ans (« quand je pense que j’ai un fils de cet âge là, dit Zambujo… c’est déprimant »), le formidable Bernardo Couto, 36 ans (« Quand je pense que j’ai un fils de …, dit Zambujo… heu, non, pas encore ») à la guitare portugaise, compagnon préféré d’Antonio sur cet instrument, et les fidèles José Miguel Conde (clarinettes) et João Moreira (trompette).

Pourtant, Antonio Zambujo, avec qui nous avons pu échanger au téléphone deux jours avant le concert, nous dans le hall de son hôtel, lui dans son lit avec une forte fièvre (merci à lui car dans son état, beaucoup auraient envoyé gentiment, ou pas, le chroniqueur sur les roses, et à son attachée de presse Frédérique Miguel) n’était peut-être pas dans sa meilleure forme, mais il n’en parut rien. Qui plus est, il a récemment subi une opération au bras qui lui a fait abandonner, momentanément, sa viola (sauf pour, lors du rappel, s’accompagner dans un chant de l’Alentejo). Même sans viola, Antonio Zambujo a chanté assis. Ce qui eut déplu à certains traditionnalistes(1), mais voilà belle lurette qu’ils ne viennent plus aux concerts zambujiens, si tant est qu’ils y soient un jour allés.

Comme il nous l’avait indiqué, le répertoire proposé au Casino de Paris fut très proche de celui de son précédent concert parisien en janvier dernier. Plus abouti encore. Ce qui est probable, c’est qu’en deux cd, ses deux derniers, Quinto et Rua da Emenda, Antonio Zambujo a réussi ce qu’avait fait Carlos do Carmo avec son album Um Homen na cidade voilà plus de trente ans : créer un répertoire musicalement et poétiquement nouveau s’appuyant notamment sur des poètes tels que João Monge, Maria do Rosario Pedreira, Pedro Da Silva Martins, Miguel Araujo, dont certains éléments deviendront sans doute des classiques. Même lorsqu’il reprend des fados anciens (le fado Manuel Maria, le triplicado, le Fois deus d’Amalia, le Nem às paredes confessou de - presque – tout le monde), il en enlève la patine (qui est aussi un élément de leur charme) pour en faire des objets différents.

Ajoutons à cela des thématiques qui sortent des sentiers battus. Si Zambujo sait chanter de belle manière l’amour déçu, la saudade, il sait aussi reprendre une tradition un peu perdue des fados qui parlent de la vie quotidienne, comme avait su le faire le poète Ary Dos Santos pour Carlos Do Carmo : Pica do 7, sur un arrêt de tramway, ou Reader’s digest, sur un jeune homme qui veut une vie « pépère » en sont des exemples, à la fois tendres en truculents. Thème nouveau (ou rare en tout cas) dans la galaxie fadiste : celui du désarroi, nous allions écrire débandade, masculine. L’homme, dans le fado, sait souffrir, certes, mais avec gravité et sourde est sa douleur. Chez Zambujo, ça ne se passe pas toujours comme ça. Dans Flagrante, un jeune homme, malgré ses prudentes réticences, est entraîné dans des ébats érotiques où seul lui sera surpris par le voisinage, « slip à la main », tandis que sa partenaire « plus rapide et plus experte », aura disparu de leur vue. Dans Flinstones, un monsieur rentre tard chez lui, barbouillé de rouge à lèvres, et a le plus grand mal à expliquer tut ça à son épouse. Dans O tiro pela culatra, un homme fou de désir invite une dame au restaurant, elle accepte, il se prépare avec soin, tiré à quatre épingles, souliers brillants de cirage, prend soin d’acheter un bouquet de roses, et est accueilli au restaurant par la dame et son mari. De ces facéties, Antonio Zambujo nous dit : « Ce sont des choses de la vie courante, encore plus fréquentes que les désespoirs et les pleurs d’amours malheureux ».

Interviewé par un confrère sur les artistes qui faisaient évoluer le fado, Antonio Zambujo eut la courtoisie de donner quelques noms et, après un moment de réflexion (feinte à notre avis), ajouta : Antonio Zambujo. Nous l’avons donc questionné à ce sujet : qu’est-ce qu’Antonio Zambujo apporte au fado ? « Une ouverture à d’autres musiques, mais je ne suis pas le seul ». Et les thématiques ? « Ho, j’essaie de chanter des choses qui concernent les gens. L’ironie ? Peut-être, je vais y réfléchir. » Mon œil, me dis-je, Zambujo est un grand artiste, et un gentil sacripant.

(1) Les traditionnalistes manquent parfois de… rigueur historique : Alfredo Marceneiro, qu’aucun rigoriste ne se permettrait de critiquer (les non traditionnalistes non plus, d’ailleurs), grand maître du fado, expliquait qu’il fut le premier, dans les années 1930, à chanter debout. Ce qui tient de la légende, mais montre quand même que chanter assis n’est pas une offense à la tradition.


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