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POUR RIEN AU MONDE J’IRAI DANS LEUR USINE

dimanche 24 janvier 2016
par  Hervé Mesdon
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« On n’arrive plus à suivre vous savez, tout va trop vite, on n’a même pas l’ temps d’avoir les idées les unes après les autres, tout s’embrouille on dirait. Tenez, moi, l’été dernier : un pull superbe que j’ me suis fait, avec du jacquart. Un vrai casse-tête. Des jours que j’ai passé d’ssus. Eh bien ça s’ fait plus à c’ qu’ i paraît, ça s’ fait plus qu’ils ont dit... Maintenant c’est les torsades... Allez comprendre ! Et c’est comme ça pour tout. Ils disent noir comme s’ils disaient blanc. Est-ce que vous vous rendez compte, ce pull là que j’avais eu tant de mal avec, eh bien j’ose plus le mettre depuis. C’est comme pour la pêche, quelquefois j’ose pas ramasser les huîtres que j’ trouve échappées, à cause qu’on m’accuserait. Remarquez que les gardes me connaissent, ils me diraient rien peut-être, mais quand même... Mais les touristes ils les loupent pas, les gardes, quand ils peuvent. Faut dire c’est leur métier aussi. Ah on en voit des choses au jour d’aujourd’hui. Avec les touristes surtout. Vous vous n’êtes pas touriste, hein ? Non, on voit bien. Les touristes, ils savent pas les vraies choses d’ici. L’autre jour y en avait un, un petit, pas un adulte quand même, un que ses parents avaient une location chez Thérèse du bas du bourg, il croyait que les patates c’était dans les arbres.

Remarquez que moi on me demanderait comment elle marche leur télé, sûr, je saurai pas non plus, surtout les chaînes. Même si on comprend pas, ils gagnent des cents et des milles ceux-là à la télé, sans se fatiguer. C’est pas du travail d’ici ça, de causer dans la télé. Le travail d’ici, de toute façon, c’est bien simple, y en a plus. La semaine dernière dans le journal, ils cherchaient des animateurs coordonnateurs de développement local. Vous croyez que c’est des métiers ça ? Vous feriez faire ce métier là à votre fils vous ? Ici, il y a que chez Gad, chez Doux et dans l’ saumon qu’il y a du travail et c’est du travail de misère qu’on se tue avec pour pas grand chose au bout. Moi je dis toujours qu’il n’y a pas que le travail dans la vie, il faut vivre aussi, et puis la famille aussi... pour ceux qui en ont. Moi j’ai plus qu’un frère et je sais même plus ce qu’il est devenu. C’est comme ça. Il faut faire avec. Mon frère aimait pas l’école. Il a dû mal tourner, je crois. Il avait eu un mauvais départ aussi faut dire avec le père qui était toujours sur son dos à le traiter de vaurien. Moi, l’école j’adorais. Mon père ne voyait que par moi, alors vous comprenez... Je connais encore des poèmes de ce temps là. Oceano nox, vous connaissez ? Oh ! Combien de marins, combien de capitaines Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Combien ont disparu, dure et triste fortune Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Sous l’aveugle océan à jamais enfouis ! C’est superbe, non ? Et pour ici, adapté et tout, parce que des comme ça dans l’ vieux temps, j’en ai connus moi. On en a plein l’ cimetière des comme ça, qu’il y a que leur nom sur les tombes et rien dedans : péri en mer, péri en mer, péri en mer... »

C’est ça Anjela Goasduff. Anjela Goasduff qui remonte de sa marée. Elle a trouvé quelqu’un à qui causer, elle en profite. Ses paniers de pêche posés à ses pieds, ses mains sur les hanches, les pieds dans ses bottes de caoutchouc. Elle peut tenir une heure comme ça. Ce quelqu’un ça pourrait être vous. Elle n’est pas regardante, elle n’a pas besoin de connaître pour se lancer. Si vous aviez été en train de vous promener sur le sentier côtier entre la Grève Blanche et les fermes du Stivell, ça aurait pu être vous. Anjela Goasduff, « elle fait la marée ». Pêche à pied été comme hiver : crevettes, palourdes, bigorneaux, les étrilles. Elle ne va plus aux ormeaux, « c’est plus d’ mon âge ». « A 63 ans vous savez, quand on a fait ça toute sa vie, on est cassé d’ partout ». Avec sa bicyclette, elle va vendre sa pêche au porte à porte. « Ça rapporte, c’ que ça rapporte, pas grand chose, mais pour rien au monde j’irai dans leur usine et puis j’ai pas besoin d’ grand chose pour vivre et puis j’ai la nature partout autour de moi ».

Il n’y a qu’ici au fond de son anse de Toul Coz qu’Anjela se sent à sa place, vivant au rythme des marées. Elle connaît pas les mots pour ça, mais si elle les connaissait, elle vous dirait la flamboyance des aubes dans son âme, la paix parfaite que lui procurent les miroitements de la lune sur la vaste étendue de sable vierge dont l’eau vient à peine de se retirer, la force qu’il y a en elle, démesurée, quand elle se bat avec un congre qui s’est embusqué sous une roche. Elle vous dirait le tohu-bohu des tempêtes, les aiguilles de vent en hiver, le sable qui crisse sous ses bottes, l’averse de pluie qui picore la baie... Mais aussi bien si vous la rencontrez, elle ne vous regardera même pas, elle passera près de vous en grognant. Vous ne verrez que ses grosses mains rouges et déformées sur les anses de ses paniers, son gros fichu bleu. M’est avis qu’Anjela ce jour là, sous les bigorneaux et les palourdes, c’est surtout des huîtres qu’elle a dans son panier et comme elle dit, elle rentre chez elle « fissa ». Des fois que vous seriez un nouveau garde que « ceux des parcs » auraient engagé. On n’ sait jamais.


Commentaires

Logo de Aline EA
dimanche 28 février 2016 à 18h30 - par  Aline EA

Bonjour Hervé,

Je viens de lire votre nouvelle et j’y retrouve avec plaisir votre style à l’emporte-pièce.

J’aime cette "histoire" , je me délecte.

Je vous connais depuis pas mal de temps car, me semble-t-il, si ma mémoire ne s’embrouille pas trop, vous êtes l’un des auteurs dont les nouvelles furent lues en lectures publiques par le Théâtre du reflet à Nantes. J’y travaillais alors et je ne manquais aucune de leurs prestations.

Dites-moi si je me trompe. Merci et à vous lire de nouveau.

Bien confraternellement

Aline EA

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