LE MAITRE DE SAINTE EUPHASIE, (CINQUIEME, ET DERNIER, EPISODE)
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Trois soirs encore elle y retourna. À chaque fois Charles lui faisait prendre la même pose : assise sur un haut tabouret, les pieds se croisant, les mains posées sur les cuisses et le regard légèrement tourné vers la gauche. Une grande toile, une activité fébrile, mais les yeux du maître avaient perdu l’intensité gourmande qu’ils avaient eue pendant un mois, s’ils se posaient sur ses seins, elle ne sentait plus ses tétons se durcir, s’ils remontaient le long de sa jambe, il n’y avait plus le même hérissement de chair de poule, s’ils se promenaient sur son ventre, plus de pointe de plaisir.
Le troisième soir il dit : « c’est fini... vous pouvez voir... » Ensemble ils regardèrent la toile : « c’est beau Charles, très beau... » « Oui je suis assez content ». Ce soir là Charles sortit en laissant sa toile derrière lui et quand il dit « et n’oubliez pas d’éteindre en partant », Gaëtane avait les yeux pleins de larmes. Le vernissage avait été prévu pour le mardi de la semaine suivante. Les invitations à lancer, n’oublier personne, le ban et l’arrière-ban de la bonne société sainte euphasienne, le buffet à prévoir, penser au compliment de remerciement par lequel il était d’usage d’accueillir le maître, Gaëtane eut l’esprit assez occupé pour ne pas avoir le loisir de se laisser aller aux langueurs. Lucile, Jeanne et Pauline l’aidèrent à mener à bien l’entreprise et en profitèrent pour reprendre la place qui selon elles leur revenait de droit dans la vie et le coeur de Gaëtane.
Dans l’après-midi du mardi, Charles vint livrer le portrait qui était emballé d’un velours rouge. Il exigea d’être seul pour l’installer dans le salon et en repartant il dit : « et pour ce soir vous faîtes simple Gaëtane, n’est-ce pas, vous faîtes simple que diable ! » Il faisait beau, Lucie, Jeanne et Pauline s’étaient chargées en compagnie de Jérôme d’accueillir les invités dans le jardin autour de trois longues tables qui débordaient de toasts et de boissons. À 7 h on fit entrer tout le monde dans le salon et Gaëtane apparut en compagnie de Charles. Comme au premier jour, elle portait un haut rouge, un jean et des tennis noirs. Elle lut son compliment au maître et Charles cérémonieusement dévoila le portrait.
Une rumeur admirative parcourut l’assistance : Gaëtane était assise sur un haut tabouret, le regard légèrement tourné vers la gauche, les mains sur les cuisses et elle était vêtue exactement comme ce soir. Seule différence, Charles avait ajouté sur son vêtement une discrète fleur d’un rouge plus éclatant encore à hauteur de son sein gauche.
Tandis qu’on applaudissait, il glissa à l’oreille de Gaëtane : « c’est seulement en regardant cette fleur là sur votre sein que vous vous souviendrez de tout ce que j’ai peint de vous et qui n’est pas sur cette toile ». Quelque temps encore il y eut des commentaires, puis on se lassa et progressivement les invités retournèrent dans le jardin.
Une peinture, un portrait ! Si peu de chose en somme. Mais tout était changé dans le regard que désormais on portait sur Gaëtane. Toutes ces dames assurément, mais aussi à n’en pas douter, bon nombre de ces messieurs, savaient que là-bas, dans l’antre du maître, au secret avec tant d’autres et pour autant d’éternité qu’en permet l’histoire des hommes, Gaëtane, outrageusement, était nue. (Fin)
Vient de paraître : Ar marc’h glaz, le cheval bleu (Editions de la Boîte à or dur, 15 rue Crech’ Avel. 29600 Plourin les Morlaix, 15€ + 3€ de fais de port). Une promenade autobiographique d’Hervé Mesdon.
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