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L’OMC, UNE ORGANISATION « NON SOUHAITABLE » DU COMMERCE ?

Par Jean Delons
samedi 21 janvier 2006
par  Jean Delons
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Les sommets de l’OMC sont toujours une occasion de se poser quelques questions de fond sur son rôle effectif. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, il ne va pas de soi. Pour les uns, de droite mais pas uniquement, l’OMC est un organisme nécessaire au développement des échanges, et donc, ipso facto, de la richesse mondiale : il est la réalisation (perfectible) du marché régulé, l’alpha et l’oméga de la pensée économique dominante ; pour les autres, de gauche essentiellement (mais nous le verrons, pas uniquement), c’est un vecteur supplémentaire de l’asservissement de l’économie mondiale à la domination américaine.

Curieusement, il n’y a pas (il n’y a plus !) de débat de fond. Les rares contradicteurs « officiels », tels José Bové (qui doit sa participation au sommet de Hong-Kong à l’intervention de Pascal Lamy lui-même, par France-Inter interposé), cherchent plus à tirer leur épingle du jeu qu’à remettre l’OMC en question. Ils participent ainsi au simulacre de débat démocratique qui gravite autour de l’OMC.

La gauche est particulièrement absente de ces débats : son refus du libéralisme semble obéir à de vieilles lunes à l’heure de la globalisation et de l’avènement d’un capitalisme chinois « d’apocalypse » (1) . La présidence française de l’OMC, par un homme de gauche, européen convaincu, ne simplifie évidemment pas les choses. Mais ce qui est en cause ici, par delà le seul problème technique et politique que représente l’OMC, c’est l’élaboration d’une doctrine économique crédible, actuelle, face au libéralisme galopant...La campagne du référendum européen a une nouvelle fois montré cette lacune, en révélant parallèlement une polarisation terrifiante entre des élites libérales et pro-européennes, et pour reprendre l’expression de Raffarin, une « France d’en bas », inquiète pour son avenir, et peu confiante face aux discours rassurants (de droite comme de gauche), qui tenaient souvent de la méthode Coué. La répétition comme seule preuve...

La droite monopolise donc le débat (2) ; elle est sur son terrain ; elle utilise à l’envie ses arguments ; elle pavoise. Pourtant, elle ne fait que s’appuyer sur des idées simplissimes, qui tournent autour « des avantages comparatifs » de Ricardo (3) (1817), idée plus ancienne encore que le Capital de Marx, et qui aurait pu en d’autres temps (pas si anciens), faire figure de vieille lune ... de droite ! En réalité, si l’on y regarde bien, ce qui légitime le discours sur le rôle de l’OMC, c’est la loi des grands nombres, le nombre de voix et de plumes qui reprennent les mêmes antiennes à la gloire du libre échange ; c’est en d’autres termes un principe d’unanimisme. L’unanimisme comme seule preuve !

Il suffirait donc, d’une certaine manière, de dénicher une pensée hétérogène, clairement libérale, d’une personnalité légitime, non acquise à la doctrine de l’OMC, pour montrer la fragilité (la vacuité ?) de l’argumentaire canonique de la droite libérale, et remettre ainsi un peu de doute dans le débat démocratique...

Il se trouve qu’une telle personnalité existe. Connue et reconnue. Auteur de nombreux livres et articles dans le Figaro. Elle est même notre seul Prix Nobel d’Economie : c’est Maurice Allais.

Auteur notamment de traités très théoriques (4) (sur l’expression du surplus économique dans une économie de « marchés » par exemple...), il a consacré en 1999 un ouvrage entier (5) (de 650 pages...) pour faire connaître son point de vue : l’effet désastreux de la politique de libéralisation des échanges internationaux sur la croissance économique et sur l’emploi en France !

Curieusement, ses différents ouvrages - et celui-ci en particulier - ont été assez peu diffusés ; peut-être à cause de sa pensée, à la fois très rigoureuse, très abstraite (avec de nombreuses formulations mathématiques...) et hétérodoxe en de nombreux points ; peut-être à cause de sa plume, souvent sentencieuse et peu amène pour ses collègues économistes...

Son explication, pour l’essentiel en décalage par rapport à la pensée économique libérale actuelle, est fortement argumentée. Elle part d’une analyse économétrique très fouillée (6) de la croissance du chômage en France, qui montre l’existence de deux régimes de croissance avant et après 1973/1974, avec un développement spectaculaire du chômage postérieur à 1974. Ce point n’est pas très original. Mais ce qui est plus intéressant, c’est l’explication qu’il en donne : il met de côté le prix du pétrole, qui est une cause externe et qui apparaît comme un bouc émissaire commode, mais illusoire (il suffit d’ailleurs d’analyser l’évolution ultérieure de la croissance et du prix du pétrole pour se rendre compte que ces deux phénomènes restent assez indépendants, sur la longue période en tous cas) ; il propose une autre causalité : en distinguant le chômage « chronique », le chômage « mondialiste » (c’est-à-dire lié à l’ouverture des frontières...), le chômage « conjoncturel », et le chômage « technologique », il met en évidence, de manière assez technique et convaincante que la part du chômage « mondialiste » est devenue prépondérante. Ainsi est retrouvée « économétriquement » l’intuition « populaire » de « la France d’en bas » selon laquelle l’ouverture aveugle des frontières est globalement destructrice d’emplois dans notre pays.

Une fois établi ce constat, en désaccord avec « les avantages comparatifs » (principe qui justifie le développement du commerce international et la baisse des droits de douane...), reste à l’expliquer. Allais rappelle les conditions d’application de ces fameux « avantages comparatifs » : oui c’est vrai, le marché marche généralement bien à condition de supposer la stabilité de la structure des coûts de production de l’ensemble des acteurs (hypothèse assez irréaliste, notamment en cas d’ouverture économique de grands pays à bas coût d eproduction...), et la non prise en compte de la nécessaire « autonomie » des pays sur certains secteurs (l’application stricte des « avantages comparatifs » conduit à supprimer toute agriculture européenne, avec comme corollaire la dépendance alimentaire absolue de l’Europe). Les « avantages comparatifs » sont donc vrais à condition d’accepter des hypothèses erronées...

De manière plus théorique, plus fondamentale, et plus moderne, la politique économique prônée par l’OMC est basée sur le principe selon lequel la suppression de tout obstacle douanier serait une condition plus avantageuse pour l’ensemble des pays et des groupes sociaux. Si il permet (encore que...) effectivement à l’ensemble de la planète de s’enrichir efficacement, le marché ne garantit nullement le caractère automatique de l’enrichissement de chacun, peuple ou groupe social. Il y a en effet une infinité de situations économiques « efficaces », obtenues par l’application du marché, mais seules un certain nombre correspondent à un enrichissement de tel pays ou telle population. L’enrichissement de tous de garantit pas l’enrichissement de chacun.

C’est donc en des termes non ambigus que Allais conclue naturellement : « la libéralisation totale des échanges à l’échelle mondiale, objectif affirmé de l’OMC, doit être considérée à la fois comme irréaliste, comme nuisible, et comme non souhaitable.(...) Elle n’est possible, elle n’est avantageuse, elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux économiquement associés, groupant des pays de développement économique comparable, chaque association régionale se protégeant raisonnablement vis-à-vis des autres ». Une petite pierre dans le jardin libéral...

Ainsi, loin d’être l’incarnation d’un « démon libéral », ou d’être « la » solution au développement rapide du commerce international, l’OMC propose une organisation économique simplement techniquement « non souhaitable » . On retrouve ici, par une voie technique, l’intuition de la « France d’en bas » lors du référendum sur la constitution européenne...

Plus que jamais, il y a donc lieu de ne pas succomber à la sirène libérale, et de militer pour une économie efficace et équitable, ce qui, contrairement à la doctrine libérale omniprésente, ne passe pas par la libération aveugle des échanges commerciaux...

(1)In « Ce monde qui vient » - Alain Minc - Grasset - octobre 2004

(2)Curieusement, à droite, les tenants du libéralisme le plus dogmatique, ceux qui s’en remettent à « la main invisible » de Adam Smith, oublient que son ouvrage célèbre (La Richesse des Nations) comporte bien d’autres recommandations qu’un laisser faire militant, en particulier vis-à-vis des industries naissantes...

(3)in « The principles of Political Economy »

(4) La théorie générale des surplus (1981) ; Economie et intérêt (1947) ;Traité d’économie (1943)

(5) La mondialisation :la destruction des emplois et de la croissance - L’évidence empirique (nov 1999-Clément Juglar)

(6) Même si dans sa démonstration, il n’utilise que de manière incomplète les tests classiques de significativité


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