LE POGNON, CŒUR D’UN PROJET POLITIQUE DE GAUCHE (PREMIERE APPROCHE)
par
popularité : 91%
Lorsqu’il explique, à Lorient, que le cœur d’un projet alternatif au libéralisme économique, c’est le pognon, notre directeur de la publication ne fait pas (ou en tout cas pas seulement), dans la formule tribunicienne. L’une des raisons du désamour, appelons ça comme ça, des électeurs pour la gauche, et à notre avis la principale, tourne autour de cette question. Pas de la façon dont Sarkozy a énoncé sa solution : travailler plus pour gagner plus est un attrape-nigaud qui n’a pas trompé grand monde, ne servant en réalité qu’à faire partager, et, là, avec un succès certain, l’idée fort contestable, et détestable, qu’il y avait des feignants qu’on aidait trop, et des méritants qui n’avaient pas assez (mais qui n’auront pas plus, et la plupart ne se font pas d’illusions).
Non, la question est la suivante : chacune, chacun sait que la France est un pays riche, qui est située dans un continent riche. Chacune, chacun sait que cette richesse n’est pas là par hasard, ni par la générosité d’une poignée de mécènes, mais le résultat du travail de tous. Et chacune, chacun, sait que cette richesse est injustement répartie.
La gauche en général, plus ou moins selon chacune de ses composantes, s’est beaucoup consacrée aux sujets dits sociétaux. Ce n’était pas, ce n’est pas illégitime. Que le droit des genres ait fait des progrès est heureux, et qu’il faille continuer dans ce sens est évident. Il en va de même de la lutte contre les discriminations de tous ordres. Tout cela est noble et juste, mais ne saurait faire oublier le principal. Et le principal est que chacune, chacun dispose du minimum de conditions économiques pour satisfaire dans des conditions décentes ses besoins fondamentaux, en matière de nourriture, de logement, de santé, d’éducation et de culture.
C’est cela la mission principale du politique, et cette mission ne peut pas être remplie si les richesses produites ne sont pas réparties avec cet objectif-là. Ce qu’avaient finalement assez bien compris les composantes de la « gauche unitaire » qui ont pourtant essuyé un grave échec électoral. Elles l’avaient compris, et même mesuré, peut-être imparfaitement, en pointant que depuis quinze ans, dix points de produit national avaient glissé de la rémunération du travail à celle du capital. Autrement dit, dix points de la richesse produite par le plus grand nombre sont allés dans les poches d’une minorité. Déséquilibre insupportable, qui rend impossible la mission d’une politique de gauche si aucune correction n’est envisagée.
On peut raconter ce qu’on voudra : on ne peut accéder à une émancipation culturelle et personnelle quand on se demande si on aura encore un salaire dans les prochains mois, quand on ne sait pas si on pourra payer un loyer (ou une traite) à la fin du mois. On ne peut préparer convenablement l’éducation de ses enfants quand les conditions de vie sont précaires.
Répondre à la question de la répartition des richesses produites, c’est dire clairement à quoi elles serviront et quelle part pourra en avoir chacun. Dire à quoi elles serviront, c’est décrire ce qui ressort du service public, et la gauche est devenue bien frileuse la dessus. Dire quelle part pourra en avoir chacun, c’est poser la question d’un revenu minimum décent, mais corollairement celle d’un revenu maximum lui aussi dans les bornes de la décence.
C’est aussi mesurer les contraintes extérieures, et avoir le courage de s’en affranchir quand c’est nécessaire, tout en préservant, ou plutôt en créant tant la politique de coopération internationale française et européenne est devenue pusillanime, des liens de codéveloppement avec les pays les plus pauvres.
C’est sans doute s’affranchir aussi de valeurs imbéciles dont plus personne ne semble s’émouvoir. Un exemple ? La compétition. Un point d’application de l’exemple ? La « réforme » universitaire. Pourquoi la réforme ? Pour rendre nos universités « compétitives ». Sornettes : nous n’avons nul besoin d’universités « compétitives » mais d’universités excellentes. Ce qui suppose des moyens, ce qui suppose très probablement des capacités d’initiatives des acteurs de l’Université allant très au-delà de l’existant. Mais imaginer un instant que c’est en transférant aux présidents d’université une large partie des pouvoirs de l’Etat, que c’est en multipliant les chaires financées par des entreprises que la nécessaire indépendance de la réflexion et de la recherche sera améliorée est d’une naïveté plus que déconcertante. Ce qui vient d’être dit de l’Université pourrait s’appliquer à bien d’autres domaines. Laissons donc la compétition aux sportifs, préoccupons-nous d’excellence, et développons la coopération.
On va s’arrêter là pour le moment, mais on y reviendra.
Commentaires