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LES ASSOCIATIONS DANS LA TOURMENTE DE LA CONCURRENCE

lundi 17 mai 2010
par  Marc Mangenot
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Par circulaire du 18 janvier 2010 adressée au gouvernement, Monsieur Fillon, premier ministre, entend soumettre l’ensemble des associations aux règles de la concurrence de l’Union européenne. Dans une note apportée à la Conférence de la vie associative (17 décembre 2009), le gouvernement français annonçait la couleur :« la réglementation européenne des aides de l’Etat s’applique également aux associations (…). Cette réglementation (…) s’applique à toute ‘entreprise’ (guillemets dans le texte) recevant un financement public, dès lors qu’elle exerce une activité ‘économique’ (idem) d’intérêt général ». Dans son interprétation , le gouvernement considère que « dans la pratique la grande majorité des activités exercées par les associations peuvent être considérées comme des ‘activités économiques’ » (souligné par moi, guillemets dans le texte). En toute logique, l’annexe à la circulaire stipule que tout « concours versé à (une) association (doit être) compatible avec les exigences de la concurrence ». La doctrine est la même que celle imposée aux services publics. Cette doctrine est confortée par de nombreux arrêts de la Cour de justice des Communautés européenne (CJCE) . La Commission, de son côté, entend limiter strictement la pratique des aides des Etats, en interprétant de façon de plus en plus restrictive la définition des SSIG (services sociaux d’intérêt général), en les assimilant aux SIEG (services – marchands- d’intérêt économique général).

La circulaire Fillon fait explicitement référence aux articles 106 à 108 (sur les entreprises publiques et les aides des Etats) du traité de l’Union européenne, ainsi qu’à l’arrêt Altmark (CJCE du 24 juillet 2003) et au « paquet Monti-Kroes » de 2005.

La référence à l’arrêt Altmark de la CJCE du 24 juillet 2003 n’est pas due au hasard. De quoi s’agit-il ? En 1990, le canton de Stendal (en Allemagne) avait accordé des aides financières à l’entreprise Altmark Trans chargée d’assurer un service d’autobus avec l’obligation de respecter tarifs et horaires fixés par la collectivité. Une entreprise concurrente a contesté cette attribution au motif que l’entreprise subventionnée n’est pas saine économiquement puisqu’elle survit grâce à cette aide. Il n’est bien sûr rien dit explicitement des conditions d’exercice de l’activité (conditions de travail et de rémunération, respect strict d’obligations …). Après quelques péripéties devant la justice allemande, la Cour administrative d’appel adresse, en 2000, une question préjudicielle à la CJCE sur la question de savoir si les subventions destinées à compenser le déficit d’un service public sont visées par l’article 87 du traité des Communautés européennes (107 en version actuelle consolidée), autrement dit si elles « ne sont pas, a priori, de nature à affecter les échanges entre Etats membres ». Dans sa décision, la CJCE a rappelé que ces subventions sont encadrées par quatre conditions, bien que par ailleurs les transports publics terrestres obéissent à des règles de droit dérivé (art. 73, dans le texte de l’époque). Ces conditions constituent la base référentielle de la circulaire du premier ministre sur les associations : 1) les obligations de service public doivent être clairement définies ; 2) la compensation doit être calculée (…) afin d’éviter qu’elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l’entreprise bénéficiaire (…) ; 3) la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts (…) ; 4) lorsqu’il n’y a pas eu de procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au coût économiquement le plus avantageux, le niveau de compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts d’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport. Le sens est précis, tout en laissant une marge d’appréciation quant à savoir ce qu’est, par exemple, un service public et une entreprise moyenne bien gérée, ou, en l’occurrence, une association moyenne bien gérée économiquement. Les associations sont dès lors soumises au droit de la concurrence de l’Union européenne.

Le prétexte : simplifier et clarifier

Les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales, d’un côté, et les associations, d’un autre, sont complexes. L’objectif de les simplifier, clarifier et sécuriser (pour reprendre les termes du texte de la circulaire) était et demeure une nécessité. Ce souci légitime devient prétexte à placer les associations sous les fourches caudines de la concurrence. Logique selon d’aucuns puisque le droit européen sédimenté dans le traité de Lisbonne fait de la concurrence la référence première, la matrice du droit de l’Union européenne .

Certaines des mesures proposées par la circulaire du 18 janvier 2010 pourraient être considérées comme des améliorations si elles n’étaient accompagnées de normes et d’exigences référées au droit de la concurrence. La mise en place d’un tronc commun d’agrément, reposant sur trois critères : intérêt général, mode de fonctionnement démocratique, transparence financière, serait en soi une proposition positive, car « la validation par un ministère de ces critères s’imposera à l’ensemble des autres administrations de l’Etat ». L’ouverture d’un guichet unique (expérimental au cours du premier semestre 2010) pour toute demande de subvention constituerait aussi une possibilité de sortir du maquis actuel.

Mais, l’attribution éventuelle de subventions sera désormais soumise à des critères qui n’ont plus rein à voir avec les buts, l’esprit et le fonctionnement des associations . Les aides de l’Etat ont un caractère d’exception dans le droit européen appliqué avec un zèle suspect par le gouvernement.

Le principe de la libre concurrence appliqué aux associations

Le texte ne laisse place à aucune ambiguïté. Comme pour les services publics, c’est par exception au principe de libre concurrence que les associations pourront conserver le droit de bénéficier de subventions publiques. La simplification annoncée par Fillon est à ce prix. Plus simple et plus clair ? d’accord dit le gouvernement, mais sous la condition de vous soumettre aux règles de la concurrence (supposée libre et jamais faussée, ce qui est une aporie). La Commission, non contredite ni par le Conseil des ministres ni par le Parlement européen, a toujours refusé d’élaborer un projet de directive cadre définissant le champ des services d’intérêt général (services publics), et du coup a laissé dans le flou le champ d’intervention des associations, dans le social, le culturel, l’éducatif, le loisir, etc.

Une association est en situation de concurrence non parce qu’elle produit et vend mais, dès lors qu’une entreprise privée se manifeste dans le même secteur. Ce peut-être du sport, de l’aide à la personne, des séjours pour jeunes ou familles défavorisées, du théâtre, du soutien scolaire, etc. Déjà, la circulaire du 15 septembre 1998 (amendée en février 1999 en faveur de la presse associative –néanmoins toujours menacée d’étouffement- et des centres de réinsertion par le travail) avait engagé le secteur associatif dans la logique de la concurrence avec, entre autres conséquences, la soumission possible aux impôts commerciaux. Depuis cette date, une association doit montrer qu’elle n’est pas en concurrence avec une entreprise commerciale, autrement dit qu’elle ne fausse pas le jeu de la concurrence. Cette formulation reportait déjà la charge de la preuve sur les associations, avec cependant la recommandation de la part de l’administration fiscale d’une attitude de bienveillance pour ce qui concernait les situations antérieures à 1999, si la bonne foi avait prévalu.

Des règles perverses

La réduction constante des subventions depuis plus de deux décennies, incite nombre d’associations à développer des « activités économiques » pour financer des activités culturelles, sociales ou éducatives, souvent déficitaires. On pourra rétorquer que la fiscalité sur les dons remplace les subventions, c’est en tout cas la doctrine plus ou moins explicite des gouvernements. Outre son caractère aléatoire, encore plus en période de contraction des revenus, l’appel à dons est sérieusement mis à mal par les organismes disposant de moyens de communication puissants, en recourant par exemple à la télévision, quand cette dernière ne prend pas l’initiative, se rendant ainsi complice des politiques de restrictions budgétaires (cf. le Téléthon).

A bien y regarder, cette politique, que la circulaire sur les associations vient dangereusement renforcer, s’inscrit dans une logique impitoyable : celle de la concurrence budgétaire, fiscale, sociale et écologique organisée par les Etats, dont la privatisation des services publics constitue un important aspect et l’intégration des associations dans l’activité économique concurrentielle le dernier volet à ce jour. Car, le plafonnement des aides est contraignant.

« Par exception, les concours financiers versés sous forme de subventions à une association exerçant une activité économique d’intérêt général qui demeurent inférieurs à 200 000 € sur une période de trois ans (66 000 € par an en moyenne !) ne sont pas qualifiées d’aides d’Etat et ne sont soumis à aucune exigence particulière en matière de réglementation des aides d’Etat. Ce seuil est apprécié toutes aides publiques confondues (…) » (soulignement et ajout par moi). La référence aux normes européennes imposées aux services publics est développée ensuite, puis confirmée de la façon suivante : « Lorsque les conditions sont remplies, le concours versé à l’association est compatible avec les exigences du droit de la concurrence qui fondent la réglementation des aides d’Etat ». (souligné par moi)

Au–delà de 66 000 € l’an en moyenne, les aides publiques ne sont possibles que pour compenser des « obligations de service public » … qui ressortissent de la compétence de l’Etat et de Union européenne. Cet encadrement accroît le poids de la tutelle, y compris sur la nature des activités des associations. C’est de l’ingérence qui n’a rien à voir avec le droit de contrôle de l’usage de l’argent public.

A ces mesures discutables, s’ajoutent des exigences à caractère bureaucratique, dans la présentation des projets, et lors d’éventuelles modifications dues à des aléas conjoncturels ou structurels. En particulier, tout retard dans l’exécution d’une convention doit être signalé (ce qui est légitime), par lettre recommandée avec accusé de réception ( !), (…) « en tout état de cause avant le 1er juillet de l’année en cours ». Cela suppose premièrement que l’administration n’a aucun retard dans le versement des concours publics qui conduirait à ne pouvoir respecter les échéances, deuxièmement que les éventuelles difficultés soient intervenues avant cette date ou qu’elles soient décelables au plus tard à cette date.

Le rôle supplétif des associations

Cette circulaire constitue une première étape, et le gouvernement veut aller vite, très vite comme sur d’autres sujets : soit en force, soit en catimini, soit en s’appuyant sur une partie du secteur associatif qui croit y voir avantage. Il consulte (de loin) pour prendre la température et mesurer le degré éventuel de résistance à sa politique qu’il estime être « une doctrine claire et partagée entre l’Etat, les collectivités territoriales et les associations sur le champ respectif des subventions et des procédures de marché, de délégation de service public ou encore d’appels à projets » . Transposer des directives sous forme de circulaire (car, c’est en fait de cela dont il s’agit pour une bonne part) est en soi un acte anti-démocratique qui confirme la pratique et la stratégie suivies depuis plusieurs années.

Moins d’impôts comme le clament gouvernements et organismes internationaux, donc moins de subventions (normal, y a plus de sous). Les associations sont sommées d’entrer dans le jeu de la concurrence. Foin de la solidarité, de la complémentarité, de la coopération. En revanche, plus que jamais, le secteur associatif, notamment dans le domaine social devra jouer au SAMU, avec des moyens de plus en plus chiches, alors même que précarité, inégalités et pauvreté s’accroissent.

A la liberté d’association le gouvernement préfère la concurrence. Comme si le choix était entre liberté et commerce, ou encore, comme si le commerce était synonyme absolu de liberté. Une bataille a été initiée par l’appel intitulé « Non à la remise en cause des libertés associatives ! » . La lutte contre la directive services (directive Bolkenstein quelque peu arrangée) est également une nécessité, même si, dans l’immédiat, le gouvernement français peut être contesté parce qu’il en fait plus qu’il ne devrait eu égard aux textes des traités et directives.

Dans le cadre des politiques de restriction budgétaires qui concernent les Etats, les collectivités territoriales, les organismes sociaux (cf. la baisse programmée des pensions), la circulaire Fillon en rajoute une couche et atteint en même temps la liberté associative. Les associations sont, de fait, incitées à se tourner vers des activités commerciales et vers le mécénat des entreprises. Pas plus que pour la recherche, ce n’est un gage d’indépendance. En revanche, les entreprises pourront déduire de leurs impôts les dépenses de mécénat qui par ailleurs pourraient leur permettre de se faire une image de respectabilité sur le dos de la liberté des associations. Si les associations avaient la volonté de devenir des entreprises ordinaires qui font commerce et se font la guerre, ce serait quand même plus simple ! Cet article a été rédigé à partir d’un flash publié par la Fondation Copernic

1 D’une façon générale, une circulaire est un texte émanant d’un ministère et destiné à donner une interprétation d’un texte de loi ou d’un règlement (décret, arrêté), en vue d’une application uniforme sur l’ensemble du territoire.

2 Voir « Des arrêts de la CJCE contre l’Europe sociale », revue Savoir/Agir, n° 6, mai-juin 2008.

3 Conséquence de la construction européenne fondée sur « l’économique » : le droit européen a d’abord été construit comme celui du marché (intérieur et extérieur au marché commun puis à l’Union européenne) et non comme un ensemble de principes, d’institutions et de règles dans le champ politique.

4 Pour plus de précisions, se référer au texte de l’appel cité ci-après.

5 Il y aurait beaucoup à dire sur le rôle renforcé des appels d’offres

6 L’appel intitulé « Non à la remise en cause des libertés associatives ! » a été lancé à l’initiative de plusieurs responsables associatifs : http://www.associations-citoyennes.net/


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