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DE LA MADRAGUE A LA POINTE ROUGE, MARSEILLE ACCOUCHE

lundi 9 juillet 2012
par  Jacques Broda
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Les villes ont-elles un inconscient ? Si oui l’inconscient de Marseille, c’est l’inconscient politique et dans ¬l’inconscient politique, la parole du prolétaire. Cette parole, nous voulons la porter, la dé-porter au plus haut niveau, au sommet de la douleur, et de l’espoir. Marseille « capitale de la douleur », Marseille capitale du travail de la culture. De la culture du ¬travail, femmes des dattes Micasar, dockers, réparations navales détruites, agroalimentaire détruit, hôpitaux en crise, syndicats flingués, Marseille résiste. Le prolétaire du prolétaire est une femme. Sans consciences de classe, elle chauffe. ¬Marseille est bouillante de haines racistes, machistes, de l’autre, fût-ce le même, on l’a choisi et on l’aime. Marseille, capitale de l’amour bien fait, mal fait, vite fait. Nous avons dit : « Ils naissent un couteau au coeur », quand les victimes deviennent des bourreaux, la politique comme amour de l’amour chute. Lové dans l’oeuf du serpent, à travers la coquille on découvre la forme du monstre, né ange. Quelle malédiction frappe cette ville, elle vote jusqu’à 30 ?% pour le Front national, il double le Front de gauche ? Quelle malédiction frappe ses enfants ; dont un tiers vit en dessous du seuil de pauvreté.

J’ai toujours haï la facilité. Nos textes porteront au sommet de ¬l’universel, l’uni-vers-celles qui n’en peuvent plus d’aimer, ne pas être aimées. Et lui, il va, ou plutôt il rentre du « taf », nourrit ses enfants, attend juste un peu d’amour, de la tendresse, un geste insolent. Tu veux le plaisir sans le bonheur. Nos écrits sont un geste d’ouverture, ils dévoilent le sang noir, le lait, et la semence. Ils disent l’instant précis où l’enfant apparaît non pas en salle de travail, mais dans le désir insensé de ses parents fous (d’amour). Il dit l’instant in-ouï, où il a été pensé, conçu, désiré, parfois avorté, oui Marseille est folle d’amours, inaboutis. Si à cet instant, tu es ailleurs, laisse tomber l’affaire. La caresse nous oblige, la main prolonge le visage quand elle frôle le visage, non pas pour lui filer une baffe, mais pour l’apaiser, le consoler, le baiser. Le baiser profond est au fond à la ¬recherche de l’âme, goûte dans la bouche de l’autre, la force du désir, le désir de la force d’aimer, autrement qu’aimer. Car il s’agit bien ici d’aimer autrement qu’aimer, de dire autrement que dire, de faire autrement que faire, de baiser autrement que baiser après. Dans le silence. La télé éteinte, l’ordi éteint, le portable éteint.

Dans le cri, l’étreinte a été fatale. Le corps touche le corps, corps à corps, nous glissons de l’attention, à la responsabilité, forme politique de la tendresse. Marseille est une ville à responsabilité limitée, elle est responsable, mais pas trop, elle ne va pas au bout, elle se défausse, elle se défonce. Au bord de la mer, j’en ai vu, un dimanche matin, à 7 heures, rétamés, inertes, parlant la langue des signes, l’un rhabille l’autre, lui tape sur la joue, elle lui enfile les chaussettes, lui lace les lacets. D’autres jeunes, en emplois aidés, nettoient la plage. Et puis… Elles viennent au port, J4, la Joliette, ¬chercher de l’aide alimentaire. Au bord d’Arenc, partaient les trains pour les camps de la mort, raflés par les GMR (gardes mobiles républicains) et Pétain accueilli triomphant sur la Canebière. Marseille a été libérée par les tabors marocains.

Et mon père aussi, il en était, après l’Indochine, et la guerre d’Algérie. Marseille bloque les navires de guerre. Toi, tu enfantes dans la douleur, la solitude. Bien plus tard, le petit apprendra que son père l’a aimé plus que tout, que toutes, quand il est parti au front se faire flinguer pour la patrie, ou plutôt pour la liberté, car Marseille est apatride, sa patrie c’est la liberté, l’égalité et la fraternité. Cette patrie n’a pas de frontières, ni de Frontex, elle est internationaliste, sous-marine, souterraine.

Quand le père aime la mère, il lui offre cette patrie à travers son corps et son sexe d’homme, il lui donne les luttes, l’âme de son âme, celle du peuple. Il la prend de haut, de bien plus haut que le bout de ses seins, il la prend par la main, dans les reins. Cash. Une âme va naître d’une âme. Elle le sait, elle le sent, elle l’accueille, le reçoit, lui parle doucement, elle pleure parce qu’au fond de ses entrailles, de son corps, de son désir et de la chair brûlante et humide, elle sait son âme, elle sait son âme ancestrale, du peuple, du clan, des folles et des demi-folles, cette âme devient vivante, elle est la vie, elle est l’amour, elle est son amour.

Il naîtra (ou pas) de cette étreinte, corps à corps, âme contre âme, âme de l’un dans l’âme de l’autre, âme de l’une bridant le sexe de l’autre. Confusion des corps, des sentiments, de l’âme universelle. Farida dit « l’âme c’est le collectif ». Le collectif des ancêtres associés pour fabriquer la nuque fragile de cette enfant fragile. Il en a fallu des esclaves et des morts pour arriver à toi. Ta cheville tient entre mes doigts, entre pouce et index, glisse la fragilité de l’âme de toutes les mères aux pieds nus, frappant à leur tour l’argile rouge.

Fière. Elle est fière, elle est fière d’elle. D’avoir accompli son devoir, son devoir conjugal, va bien au-delà : à son insu il ¬accueille, et cueille le temps des cerises. Tous les jours, toutes les nuits vers 2 heures du matin, Marseille accouche, et Marseille jouit de ne pas jouir. On n’entend rien. Il lui fait bouffer l’oreiller. Nous dirons ces femmes et, hommes ¬silencieux, aux cris ravalés, aux désirs avoués, aboutis, désaboutis, nous dirons la ¬Marseille capitaliste, qui achète tout, vend tout, ne donne rien, ne prête rien, nous dirons la Marseille populaire, qui prête tout, donne tout, s’offre entièrement sans compter, ni lire ni écrire, car elle ne sait pas lire.

Ici, commence la culture, ici Marseille est capitale de la culture européenne, la culture des luttes, la culture de l’amour, la culture des mots, des gestes et des paroles. De Kafka, ¬Milena et Mozart. Cette culture est enfouie dans tous les cimetières marins, dont nos corps sont les dépositaires avertis, cette culture des ancêtres assassinés, violés, exploités, bafoués, piétinés, remonte dans le sang de mes veines et de mes mots, et quand je dis et je fais je t’aime, c’est elle que je t’offre.


Commentaires

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mardi 10 juillet 2012 à 14h44 - par  SIMON

Je ne pensais pas (ou plus) que l’on pouvait allier avec autant de talent la poésie et l’innovation (quant à la forme). C’est aussi un sentiment de gratitude pour nous donner à lire un texte aussi (bien) construit qu’édifiant. Mais ce n’est pas que cela : ce qu’il signifie me semble toucher à l’essentiel, mais c’est le propre des poèmes.
Merci donc ...

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