L’imagination bornée
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Il est une évidence devenue un lieu commun : la crise écologique fait rage et s’aggrave en tous points de la planète. Les manifestations du dérèglement climatique se multiplient partout, la « météo » ne cesse d’afficher de nouveaux records, la biodiversité est en péril, la mortalité humaine et les migrations de populations dues à la forte dégradation des écosystèmes croissent d’année en année, etc. Une autre vérité, plus difficile à entendre, fait doucement son chemin : le modèle industriel dominant dans lequel nous vivons doit être transformé de fond en comble puisqu’il est la cause exclusive de la catastrophe écologique. Un tel chantier va évidemment demander beaucoup d’imagination. Mais, de surcroît, il va falloir que l’imagination, déjà à l’oeuvre dans maints endroits du bas de la société, s’empare en la matière du sommet du pouvoir politique de chaque nation. La France y jouera-t-elle son rôle ?
Dans le domaine crucial qui doit désormais nous occuper inlassablement l’imagination doit être illimitée. Ici, parler d’imagination bornée signifie donc entêtement à ne rien céder aux acteurs qui ne veulent surtout rien changer à leurs anciennes pratiques mortifères tout en prétendant le contraire grâce à des lobbies très influents et mensongers. Chaque gouvernement devra être composé afin de pouvoir orienter son action en faveur du nouveau paradigme écologique. Ainsi, de ce point de vue, tous les ministères devront se voir adresser une feuille de route conforme à cette aune-là afin que soit pleinement assurer la cohérence d’ensemble de l’action publique au service de la résolution de la crise écologique. Les ministres devront être choisis pour leurs convictions fortes en faveur de l’indispensable changement de politique à l’égard de l’environnement et non en raison de compétences éprouvées – et souvent montées en épingle – dans les arcanes souvent troubles de « l’ancien monde ». Les grands « projets structurants » d’aménagement du territoire tout comme ceux du développement industriel ou agricole devront faire l’objet de sérieuses études d’impact sur l’environnement confiées à des experts indépendants dont les conclusions devront être suivis d’effets tangibles afin, notamment, de mettre fin à la mascarade des « compensations » si mal nommées. Les médias les plus « en vue » devront s’adapter à la nouvelle doxa en cessant de donner systématiquement la parole aux représentants des intérêts dominants de l’économie prédatrice. La caricature en la matière se situe probablement du côté de la défense éhontée du « modèle agricole » productiviste à bout de souffle par la Présidente de la FNSEA qui a reçu ces derniers mois le renfort assez surprenant de l’universitaire Sylvie Brunel devenue ainsi l’implicite VRP de cette organisation droitière fièrement arc-boutée sur ces vieilles pratiques. Bref, il est temps de démasquer tous les tartufes qui ont depuis trop longtemps leur rond de serviette dans certaines stations de radios ou sur les plateaux de chaînes de télévision à large audience. Pour l’écologie, le temps de la Communication qui noie le poisson serait alors révolu pour laisser pleinement la place à la narration sincère des actions concrètes au périmètre sans cesse élargi.
Voilà ce qu’il conviendrait de faire. Et voilà ce qu’en France on ne fera pas. Car l’imagination connaît une autre voie : celle bornée par des limites. Des limites imposées par les acteurs dominants du modèle industriel dont la grande habileté consiste toujours à faire quelques concessions mineures pour que surtout rien ne change jamais vraiment. Jupiter n’orchestrera pas le « mandat écologique » imprudemment promis lors d’une très brève envolée lyrique de soirée d’élection victorieuse. La baguette du chef n’est pas verte, son second mandat sera dans la lignée du premier. Il a flanqué sa Première Ministre, chargée de mettre en musique la « planification écologique et énergétique », de deux autres femmes au pedigree édifiant. Des profils qui font sans doute encore rêver dans le vieux monde mais sera un cauchemar dans le nouveau monde à construire. Amélie de Montchalin, nommée ministre de la transition écologique et de la Cohésion des territoires (puis rapidement exfiltrée suite à sa défaite aux élections législatives, ndlr), est diplômée de HEC et de Harvard, a travaillé au sein de BNP Paribas et d’Axa. Agnès Pannier-Runacher, désormais Ministre de la transition énergétique, est diplômée de HEC et de l’ENA. Elle a été inspectrice des finances, puis a travaillé au sein de la Caisse des dépôts et dirigé la Compagnie des Alpes, entre autres. Elle était ministre de l’industrie dans le précédent gouvernement. Sa famille a fait fortune dans l’exploitation des puits de pétrole en fin de vie, dans des pays corrompus comme la RDC, Son mari est haut cadre d’Engie, et son père fut durant une trentaine d’années directeur général du groupe pétrolier Perenco, avant de devenir banquier d’affaires à Genève. Comme le soulignait un article du journal Le Monde d’octobre 2019 : "C’est une société pétrolière particulièrement opaque qui préfère ne pas dévoiler son chiffre d’affaires ni sa structure de gouvernance. Le groupe familial franco-britannique Perenco n’apprécie guère de devoir s’expliquer sur les préjudices environnementaux présumés causés par son activité en République démocratique du Congo (RDC) ". Voilà de quoi être tenue en respect !
Bref, ces deux ministres ont un profil on ne peut plus technocratique et une fibre écologique douteuse. Rappelons au passage que les nouveaux « ministres de l’écologie » et de l’agriculture ont voté contre l’interdiction du glyphosate en son temps, faisant confiance aux promesses, régulièrement repoussées, d’alternatives du lobby agricole. Constatons également que le ministère de l’agriculture n’est toujours pas rattaché à une définition large de l’écologie et qu’il a été confié à… un chasseur ! Enfin, pour confirmer qu’Emmanuel Macron va continuer de gouverner en maître absolu les Directeurs de Cabinet de tous ces ministères ont été nommés avant les ministres. Ainsi, le désastre est d’ores-et-déjà annoncé.
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