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La gauche et la droite face aux "fondamentaux" : Confusions et Confrontations

dimanche 11 avril 2010
par  Gérard Bélorgey
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Nous avions, avant les régionales, estimé (mais peut-être à tort) qu’il y avait bien des prétendants potentiels différents (sans parler du cas particulier de Dominique de Villepin) qui étaient aux aguets pour relayer Nicolas Sarkozy aux affaires et pouvaient pour certains du moins tenir si nécessaire au feu des fers meurtriers.

C’est que le propre du Président - au delà de ses engagements initiaux pour une société qui se serait conformée de plus en plus à un modèle Thatchérien - est de chercher des variantes par des "réformes" en diverses directions, leur caractère étant précisément qu’elles ne relèvent pas sur le fond d’un esprit de système, mais d’une méthode nourrie d’impulsions répondant à des approches différentes, déconcertantes parfois, dans tous les cas toutes au service de la conquête et reconquête permanente de l’opinion.

Je suis étonné qu’on ait parlé de "coup de barre à droite" en réaction aux résultats des régionales. Il en est peut-être ainsi en image surtout si l’on confond ce qui reste de gaullisme avec la droite et qu’on lise un coup,de barre à droite dans l’appel à quelques personnes de cet héritage. Mais en réalité ; ni l’annonce d’une bataille avec l’Europe s’il le fallait pour notre agriculture, ni la réaffirmation de l’importance du chantier retraites (dont tout le monde sait qu’il est à traiter sans qu’il y ait un si grand clavier de variantes), ni la suspension de la taxe carbone ( (qu’une large part de la gauche avait dans la forme qu’elle avait prise fortement critiquée) ne sont des postures spécifiquement droitières. Celles-ci sont par contre dans le style et en font partie les annonces sur la tolérance zéro en matière de sécurité et dans l’exploitation (populiste) de la Burqa, thème sur lequel en dehors de la raison juridique qu’on espère demain du Conseil d’État, et pour ensuite s’il le fallait du Conseil constitutionnel, on ne trouve nulle part grand courage pour faire preuve de modération, face aux agressivités des féministes, des beaufs et des anti-islamistes Et pour l’instant c’est sur des signes comme celui-là que se jouent des agaceries et des escarmouches entre prétendants de droite , alors que les tensions ont bien d’autres causes de fond, alors que sont sans doute en cours de grandes manoeuvres à caractère quasiment idéologique au sein de la majorité elle-même et ne manquant certainement pas de mobiliser des forces de la société civile , c’est à dire des milieux financiers et d’une part des organisations patronales .

En effet ce qui est devenu de plus en plus évident, ce sont des divergences entre les"fondamentaux de la droite" et des opérations présidentielles, à tel point qu’à certains titres, les droites classiques et leurs intellectuels de service paraissent plus obstinés que lui-même dans certaines directions économiques qui sont les plus dangereuses.

Le tronc commun de leurs fondamentaux est fait des valeurs de sécurité, d’exaltation de l’entreprise, de responsabilisation individuelle, de "protections" envers l’immigration. Il comporte même en commun avec les laïcs de gauche, et avec les identitaires d’extrême droite, cette forme d’ostracisme à l’égard des "étrangers" différents de nous qu’illustrent les étapes de l’affaire du voile ( cas français singulier en Europe... sauf les facultés d’interdiction locale ouvertes en Belgique).

Surtout au coeur de la conception libérale il y a ces deux piliers qui vont de pair : une économie largement privatisée dans ses acteurs et ses financements et un libre échange mondial qui garantit la pression sur les coûts, les salaires et les dépenses sociales et publiques.

Or s’il est vraisemblable que la valeur privatisation est bien aussi une valeur présidentielle (quoique obligatoirement tempérée par des recours nécessaires aux interventions d’État, si bien qu’on discerne parfois mal les différences entre cette posture et celle de ceux des socialistes qui se sont symétriquement ralliés au fonctionnement du marché ...à condition qu’il soit régulé ), l’homme en charge aujourd’hui de nos affaires est trop réaliste pour ne pas savoir que le libre-échange peut devenir un piège auquel il s’est livré par le traité de Lisbonne, dès lors qu’il l’a fait endosser sans retouches protectrices.

Mais ce qui peut lui paraître (comme à un Henri Guaino) un piège dont l’Union Européenne fait fonctionner les ressorts est au contraire pour les néo-libéraux l’atout clef du capitalisme contemporain. Or dès lors que les tenants de cette idéologie font meilleure recette que lui dans les sondages, sans doute parce que leur style BCBG n’irrite pas comme le sien et que la clientèle de droite s’est mise à redouter les innovations de son ex champion, la tentation est là de changer le patron.

En attendant la compétition entre ceux qui aspirent à faire don de leur personne à une société libérale française , cette droite cherche à se reformer en ordre de bataille - envers son chef comme envers les oppositions - sur le carré simplifié et mobilisateur de tous ses fondamentaux , sachant , comme l’a bien dit un commentateur, que "la défaite de la droite n’est pas la victoire de la gauche" car rien n’est gagné pour celle-ci en 2012.

A gauche en effet , la question des "fondamentaux" n’est pas aussi claire. D’abord il a chez beaucoup une zone importante de confusion avec les fondamentaux de la droite : l’Europe, certes à retoucher, mais acceptée telle qu’elle est, le libre-échange que l’on dit à réguler, mais sans protectionnismes, l’entreprise désormais (et sur ce point, c’est bien), des privatisations à consentir encore (ce qui l’est moins). Voilà pour l’ordre économique. Dans le domaine de l’ordre public, exprimée à gauche en termes moins vifs que par le Président, l’incontournable question de la sécurité des biens et des personnes est aussi présente avec le point de ralliement républicain des mesures contre les singularités de moeurs et de vêtements, encore qu’il faille créditer la gauche de son approche humanitaire des drames de l’immigration, de la situation des "cités" et des "sans-papiers". Dans le reste du domaine sociétal, il n’y a guère de ligne de clivage : tout le monde est ouvert à toutes les complaisances (voire à bien des régularisations de transgressions) qui font plaisir aux libérateurs des moeurs. Dans le domaine social enfin, si l’on sait que la gauche "n’a pas le monopole du coeur" et s’il faut accorder à certains droitiers de qualité une réelle ambition d’équité sociale, il faut constater que seules les propositions de la gauche constituent concrètement dans ce champ un corpus politique cohérent qui distingue bien, mais essentiellement en cette seule matière, (ainsi que par la compréhension des immigrés) ses fondamentaux de ceux de la droite.

Ce que l’on peut attendre d’elle si elle arrivait aux affaires c’est donc avant tout trois types d’actions :
- des mesures de justice fiscale revenant sur ce qui a marqué le plus caractéristiquement à droite la gestion actuelle : les divers et importants allègements fiscaux en faveur des plus favorisés constituant la base sur laquelle s’obstine le pouvoir au moment même où la puissance publique a particulièrement besoin de ressources. Quand bien même il pourrait y avoir des motifs intelligibles de politique économique à ces allègements, ils sont, avec divers abus profitant à des acteurs économiques privilégiés, ce qui inspire puissamment les sentiments populaires de colère et de scandale constituant les plus évidents motifs de défaite du pouvoir ;
- le deuxième axe politique de la gauche serait à l’évidence de tenter des réponses aux détresses sociales les plus graves ainsi qu’aux besoins manifestes de services publics en perdition ;
- enfin, allant d’ailleurs de pair avec les deux points précédents, la mise en oeuvre de soutiens à la consommation populaire lui paraîtrait merveilleusement unir une bonne conduite sociale et un levier économique réputé adéquat par ses économistes.

Ces trois points sont à la fois ce qui fait ses chances de victoire électorale et ce qui serait un inévitable programme d’action bien reçu. Serait-il efficace pour autant ? A même den finir avec la crise et d’assurer un meilleur emploi ? Ce n’est en aucun cas garanti si un tel programme social n’est pas accompagné d’une stratégie économique en assurant la fiabilité, en donnant les moyens et en en écartant les effets pervers bien connus : d’augmentation de coûts, de pertes de compétitivité, encore qu’il soit certain qu’un climat social apaisé est apte à favoriser la productivité au sein des entreprises. Néanmoins, à défaut d’une bonne stratégie économique, les résultats qu’on pourrait attendre d’une gestion de gauche ne seront pas au rendez-vous et le réveil sera rapide et très douloureux : une grande désillusion sociale et une belle déroute politique. Or une stratégie économique socialiste (que ne peut remplacer l’écologie qui peut seulement y contribuer) reste à définir. Sans lignes de conduite adéquates aucune victoire n’aura ni sens ni durée. Ne serait-elle alors qu’une "victoire à la Pyrrhus" ?

C’est ce que l’on peut d’ores et déjà pronostiquer si la stratégie considérée ne fait pas sa place - ce que nous répétons depuis des années - à une novation de la pensée socialiste n’ayant rien à voir avec ce qui est à la mode. L’ouverture extérieure et la soumission aux fournisseurs et clients de certains pays tiers deviennent un engrenage suicidaire. Le financement privé des besoins de fonds longs des entreprises implique une forte inégalité. Le développement durable est plus une morale indispensable qu’une baguette magique pour la croissance. Il faut aussi se défier de la propension à gérer (et à légiférer sur) les affaires de moeurs et de société plutôt que de concentrer l’énergie des pouvoirs publics sur les questions de niveaux de vie : si celui ci s’améliore pour le plus grand nombre, c’est automatiquement que les relations entre sexes, générations, diversités, etc. (autant de thèmes que l’on veut souvent traiter en soi, alors que les situations critiques tiennent à des insuffisances de niveaux de développement) rencontreront de meilleures chances de satisfaire des déontologies réduisant les discriminations et inégalités. Il faut se défier encore d’une autre propension qui est la réponse de facilité consistant à trouver des solutions par la dépense publique quand elles peuvent souvent être d’une autre nature, en particulier par une meilleure organisation que peuvent inspirer des analyses de qualité.

Il faut mettre en relief trois impératifs majeurs.

a - Le premier est qu’ il ne peut y avoir de protection sociale sans une part de protection commerciale ; sinon la concurrence des moins disants sociaux et fiscaux tire forcément vers le bas les composants humains du prix de revient et porte à une insupportable réduction des impôts nécessaires à l’État et aux collectivités territoriales (exemple : la suppression de la TP)

b - ensuite, on ne peut progresser dans la diminution des inégalités et du chômage que si l’on remplace une part de l’investissement suivant des canaux privés par une dose significative d’investissement public.

Les inégalités sont en effet les carburants indispensables à une économie dont le financement est à dominante d’origine privée : ses ressources ne peuvent naître que de la forte propension à épargner (et à faire des placements) de détenteurs de revenus élevés, obtenus notamment par des placements profitables et des faveurs fiscales. De tels actionnaires, de surcroît, demandent la rentabilité la plus élevée , ce qui conduit simultanément à la compression des coûts, à la maximisation des résultats que recherchent notamment des licenciements de la part de sociétés dont les bénéfices sont très convenables, mais dont les actionnaires veulent encore plus de profit. Comme l’ouverture généralisée leur permet de prendre ces profits ailleurs, les managements les mieux intentionnés sont obligés pour conserver leur actionnariat de le satisfaire. Tel est le cercle vicieux résultant de la combinaison de la libre circulation mondiale des capitaux et liquidités avec la couverture des besoins de fonds longs selon des circuits où dominent des origines privées des ressources.

La correction ne peut s’obtenir qu’avec une dose de financement public nourri par des prélèvements fiscaux équitables et remplaçant une part des placements privés. Mais pour que l’État puisse jouer le rôle d’un bon capitaliste il faut deux conditions : qu’une régulation financière internationale le préserve des spéculations massives et qu’il ne soit pas un propriétaire de firmes, mais seulement un contributeur significatif à la réunion des fonds longs nécessaires à des opérations rentables. Il ne s’agit pas de recréer tout un secteur public nationalisé, mais de participer au financement par des voies publiques d’entreprises d’intérêt collectif et de statut privé.

Il faut, à titre complémentaire, donner une approche de la troisième indispensable direction d’une stratégie rénovée pour la gauche :

c) on ne peut sauver et mieux assurer les services publics fondamentaux que si on gère l’État avec un sens rigoureux des priorités :

- au moyen des ressources que devrait assurer une fiscalité reconstruite et productive pour exercer des responsabilités rationnellement réparties entre niveau central et collectivités territoriales (dont le pouvoir d’initiative fiscal doit être accru : pourquoi ne pas leur transférer les produits - et le soin de définir des taux - des impôts à véritables enjeux électoraux comme l’ISF ou une taxe carbone ; pourquoi ne pas imaginer que des Régions pourraient recevoir la faculté de concevoir pour elles mêmes des impôts spécifiques ; points très provocants sur lesquels on aura l’occasion de revenir) et, bien sûr, en faisant toutes les économies possibles sur ce qui n’est ni vital, ni adéquat : bien des exonérations fiscales et sociales ne sont pas justifiées lorsque les entreprises ne sont pas exposées à la concurrence internationale ; certaines dépenses militaires répondent- elles vraiment à des menaces et risques ? l’échenillage des subventions montrerait évidemment des abonnements, des abus, de coûteuses politiques de clientèles ; alors qu’il y a des retards très graves pour des ouvrages fondamentaux de transports publics, nombre d’autres "travaux publics" ne correspondent-ils pas à des perfectionnements plus qu’à des impératifs et certaines suspensions ne seraient-elles à envisager ? une remise à jour des politiques de bon sens qui avaient essayé de se bâtir sur la rationalisation des choix budgétaires (révélateur des rapports comparés coûts/avantages la RCB oblige à faire et avouer des choix de priorités) et les cercles de qualité (c’est la clef de la participation des agents publics) ferait sans doute apparaître des gisements possibles d’économie plus appréciables que les réformes d’organigrammes (souvent inspirées par des consultants comprenant mal la mécanique publique) qui semblent au niveau territorial plutôt ôter de la cohérence à la déconcentration administrative. Enfin, alors même que l’on a pu critiquer Jacques Marseille (qui vient de disparaître début mars) pour son évolution idéologique, il resterait bon de s’en inspirer dans la découverte de toutes les économies possibles. Bien évidemment des réalisations d’économies pourraient avoir à la marge des effets négatifs immédiats sur l’emploi. D’où, plus encore, l’obligation de réussir la stratégie globale qui doit développer notre emploi par les protections commerciales nécessaires et par les investissements publics indispensables dans le secteur marchand.

Le blog de Gérard Bélorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


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