LA GAUCHE EN EFFERVESCENCES
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Au fur et à mesure que les échéances électorales approchent, les projets, les ambitions, les intérêts se précisent et se développent. C’est un classique. La gauche française a toujours reflété une diversité certaine. Longtemps dominée, tant au niveau des suffrages que de la militance, par le Parti Communiste, dans une période ou celui-ci se cantonnait dans une fonction à la fois tribunicienne et de soutien des luttes sociales, sans prendre de responsabilités gouvernementales, elle l’est depuis vingt cinq ans par le Parti Socialiste, de plus en plus parti de pouvoir, et de moins en moins de lutte, glissant avec constance vers une « normalisation » social-libérale ancrée depuis belle lurette chez ses alter-égos européens. L’épreuve du référendum constitutionnel européen a été pour la gauche un moment inédit : pour la première fois depuis 1981, la majorité des électeurs du Parti Socialiste et de ses plus fidèles alliés, le PRG et les Verts n’a pas suivi les consignes des directions. Ce qui se passe aujourd’hui, tant au sein du PS et de ses satellites que dans la mouvance de la « gauche de la gauche », comme aime l’appeler la presse est en grande partie la conséquence de cette nouveauté.
Du côté du PS, il n’apparaît pas que le fait qu’une majorité des électeurs de gauche ait rejeté un traité fondé sur le libéralisme ait infléchi la ligne. Même le rude débat interne, qui avait vu plusieurs courants prendre parti pour le Non et certains même militer activement, a été étouffé (pacifié, dirait la direction ?) lors d’un congrès quasi unanime puis de l’élaboration d’un projet que seuls les journalistes économiques du Monde se sont permis de taxer de gauchisme, et approuvé par tous les chefs de clans. Cette touchante unanimité rend évidemment l’empoignade interne difficile à comprendre pour le citoyen de bonne volonté : voilà des femmes et des hommes qui s’étripent alors qu’ils sont tous d’accord sur le même projet. L’histoire nous a cependant appris que le scénario n’est pas neuf : à chaque coup, le programme du PS ne survit pas à la désignation du candidat. Une fois en situation, celui-ci fait sa propre tambouille.
N’ignorons cependant pas le fait nouveau : la candidature de Ségolène Royal porte un rude coup à la mascarade habituelle : elle a beau protester de sa fidélité au programme de son parti, c’est à une systématique mise en pièces de ce document qu’elle se livre, sur un fond de sarkoblairisme de plus en plus affirmé. De l’ « ordre juste » à la militarisation de l’encadrement des mineurs, de l’attaque contre les 35 heures (même si certaines de ses considérations sont à ce sujet pertinentes) à la remise en cause de la carte scolaire, elle fait du programme socialiste un chiffon de papier. Et comme ce programme baigne lui-même dans une mare très sociale-libérale (voir l’analyse de Raoul-Marc Jennar dans ce numéro), la dérive du PS vers un parti démocrate à l’américaine continue.
L’opération promotionnelle de la « carte à 20 euros » en est une spectaculaire illustration : de partout arrive le même constat ; les adhérents des soldes viennent rarement aux réunions, participent encore plus rarement aux activités militantes là où il y en a. Ils ont acheté un droit à désigner un candidat. La politique-consumérime a débarqué dans notre Landerneau. Cela peut aboutir à un véritable changement de nature du PS. Il est certes normal, et souvent très souhaitable, qu’une formation politique évolue. Le risque, pour le PS, est de perdre ce qu’il lui reste d’âme : quand l’adhérent n’est plus qu’un consommateur, les décisions sont confisquées par un tout petit nombre et la démocratie un simulacre. C’était déjà une critique majeure que l’on pouvait adresser aux formations politiques. L’évolution du PS risque en quelques sorte de la théoriser, sur les pas de Tony Blair qui lui aussi avait pris le contrôle du Parti Travailliste en facilitant les adhésions promotionnelles pour marginaliser la base syndicale du parti. La bataille interne au PS est donc largement factice, hors le cas Royal qu’on vient de voir. Qu’est-ce qui distingue, sur le fond, Dominique Strauss-Kahn de Jack Lang, François Hollande ou Lionel Jospin, ou même de Laurent Fabius, qui crie certes, de façon un brin répétitive, à gauche ! à gauche !, mais est corseté par le même programme ? Ces messieurs affirmaient, goguenards l’œil tourné vers Mme Royal, que la présidentielle n’était pas un concours de beauté. Mais que font-ils d’autre en ce moment qu’un concours de beauté, chacun faisant la retape sur son expérience, son sérieux, sa compétence, et tous contournés sur leur droite - pour la plupart, il fallait le faire ! - par la dame en question !
Ce qui se passe dans les formations à la gauche du PS est d’un autre ordre. Laissons de côté Lutte Ouvrière, fidèle à son cavalier seul et organise la tournée d’adieux de l’insubmersible Arlette. La campagne référendaire avait fait se retrouver sur les mêmes estrades communistes, trotskistes de la LCR, républicains de gauche, certains socialistes et écologistes et des militants associatifs, syndicaux ou citoyens. De là à imaginer que cet attelage pouvait constituer la base d’un front politique antilibéral à gauche, il n’y avait qu’un pas, qui a été franchi. De là à constituer effectivement ce front, on a pu constater qu’il ne s’agissait pas d’un pas mais d’une bonne marche. Il y eut bien sur des pertes en ligne : les radicaux de gauche (Christiane Taubira, Emile Zuccarelli) se tiennent depuis sur la réserve. Des socialistes du Non, seuls les amis de Jean-Luc Mélenchon continuent, avec une prudence compréhensible, à s’impliquer dans le processus. Les amis de Jean-Pierre Chevènement, pas très chauds pour s’allier si les dividendes électoraux ne sont pas garantis, lorgnent désormais vers le PS, et pourraient même manger dans la main de Mme Royal contre une poignée de circonscriptions. Mais passons : PCF et LCR demeuraient dans le jeu, réseaux et mouvances aussi, de quoi bâtir quelque chose. Les collectifs unitaires pour une alternative au libéralisme sont nés, d’abord timidement. Leur rencontre nationale le 10 septembre a été un franc succès, dans l’affluence, dans la chaleur météorologique et humaine, dans la volonté quasi unanime d’une démarche unitaire. Des collectifs se créent maintenant chaque jour.
La gauche unitaire n’est cependant pas au bout de ses peines. Les intérêts boutiquiers des organisations sont loin d’avoir disparu. Les chocs d’égos ne sont pas l’exclusivité du PS, ils existent là aussi. La aussi il y a plusieurs candidats, déclarés ou pas. Mais l’une des différence importantes avec ce qui se passe au PS est que chacun de ces candidats représente une démarche politique différente, un parcours citoyen et politique différent. Des six noms les plus fréquemment évoqués , un seul énarque, Yves Salesse, et encore entré par la « troisième voie » réservée aux syndicalistes et animateurs associatifs (au PS, les prétendants sont tous énarques, sauf DSK, HEC et agrégé). L’un vient du syndicalisme paysan (José Bové), une autre du mouvement associatif et féministe (Clémentine Autain), un autre est un militant de l’action locale (Patrick Braouzec). Deux représentent des familles politiques à l’identité ancrée dans le paysage de puis longtemps, Marie-George Buffet et Olivier Besancenot. Ce sera aussi le cas du socialiste Jean-Luc Mélenchon s’il saute le pas, héritier de la tradition de gauche du PS. Une candidature commune à ces familles politiques si différentes par leur histoire n’est évidemment pas aisée. Elle fait cependant son chemin et il est maintenant possible, après la réunion du 10 septembre, de réussir cette union, au moins partielle si la LCR maintient le désir de sa direction de faire cavalier seul. Il est en effet nécessaire d’offrir autre chose à l’électorat de gauche qu’un choix entre le PS et le PS. Il est nécessaire d’offrir une voie nouvelle : elle se profile, patiemment et sérieusement.
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