LA CARPE ET LE LAPIN
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Cela sonne comme une fable de La Fontaine, mais plutôt de Jean que d’Oskar : cette belle réunion socialiste du 1er juin 2008 à Paris était présentée par ses détracteurs (eux aussi socialistes) comme le mariage de la carpe et du lapin. L’expression a fait florès toute la journée, pour s’en défendre : « nous n’aurions rien en commun ? Comment cela ? Nous sommes socialistes ! » s ‘indigna faussement Martine Aubry, la star du jour. Plus mutine, la députée de Paris Sandrine Mazetier revendiqua le droit au respect de la biodiversité, et même à son développement puisqu’elle s’exclama : « copulons, camarades ! ».
Foutredieu, mais de quoi pouvait-il bien s’agir ? Eh bien il s’agissait des première grandes manœuvres du congrès socialiste de Reims, du surprenant rapprochement des fabiusiens et des stauss-kahniens. Un peu comme, s’il y a vingt ans, les chevènementistes et les rocardiens (à la dégénérescence idéologique près) avaient fait motion commune pour dégommer les mitterrandistes, au nom de ceux qui pensent quelque chose même contraire, contre ceux qui ne pensent rien ou si peu. Aujourd’hui, il s’agit en substance, aux dires d’Arnaud Montebourg, de constituer « une force d’interposition » entre Royal et Delanoé. Le caractère historique de la journée a été souligné par tous. « Pour la première fois de l’histoire centenaire du parti socialiste, nous avons la possibilité de faire un grand parti de la gauche réformiste faisant 35% des voix et qui doit occuper cet espace », déclara Henri Weber, ménageant toutefois l’avenir : « à côté d’une gauche anticapitaliste qui a sa place en France comme ailleurs en Europe ». Au passage, on aura donc noté que le PS n’est pas anticapitaliste, et qu’on est loin des 40% durables projetés par Pierre Mauroy en 1986 ou des 48% du PSOE ; et déjà, quelques minutes plus tard, Jean-Christophe Cambadélis révisait l’objectif à la baisse, espérant 30%…
N’empêche : « la question essentielle est celle du dépassement du PS » (Cambadélis). « Nous n’avons pas le monopole de la reconstruction, mais c’est avec nous, ici, que cela aura commencé » selon Christian Paul. « Ce qu’il se passe aujourd’hui est l’événement le plus nouveau depuis dix ans au PS », assura Laurent Fabius en bon ouvrier de la 12ème heure, puisqu’arrivé sur le coup de midi. « Le congrès de Reims est le plus important depuis 30 ans », renchérit Pierre Moscovici, qui en aura déconcerté plus d’un en boycottant l’après-midi par refus d’ « adouber » une Martine Aubry ovationnée, et en citant Jean-Pierre Chevènement par ces mots (fort méconnus) qui détonnaient du langage animalier du jour : « n’additionnons pas des choux et des carottes ».
L’observateur curieux (comme un lapin) et muet (comme une carpe) sera demeuré sceptique dans cette faune de mille animaux politiques (les humains, en langage aristotélicien). Certes la question européenne est (malheureusement, puisque conclue par Nicolas Sarkozy sur les positions de DSK) partiellement dépassée, et les conditions d’un rassemblement pour la sempiternelle « Europe sociale » sont peut-être réunies. Certes, à cesser de se parler de bloc à bloc dans un formalisme figé, les uns et les autres se découvrent très proches. Mais quelle ligne politique peut donc alors en sortir, si ce n’est un retour des fabiusiens à ce qu’ils étaient avant 2003, c’est-à-dire dans le fond des … strauss-kahniens ?
Il y a fort à craindre qu’après nous avoir servi des charges d’éléphants et des dîners d’ortolans, et nous avoir fait avaler bon nombre de couleuvres, ces carpes et ces lapins du 1er juin prennent encore les électeurs de gauche pour des pigeons et en fassent les dindons de leur farce.
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