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LA GAUCHE : INQUIETUDES ET PERSPECTIVES*

mardi 8 septembre 2009
par  Jean-Luc Gonneau
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Vent d’Ouest a posé des questions pertinentes. La première concerne la capacité de la gauche à s’opposer aux puissances financières et au gouvernement. La cible principale de la gauche aujourd’hui, c’est le pouvoir de la finance. Le gouvernement actuel, qu’on peut sans caricature résumer en la personne de Nicolas Sarkozy tant il laisse peu d’espace à ses ministre n’en est que le serviteur zélé. Un dessin d’une récente livraison du Canard Enchaîné en dit davantage que de longues analyses. Il représente un patron de banque qui dit à un collaborateur inquiet : « A l’Elysée, Sarkozy nous a mis la pression ». « Et alors ? », fait le collaborateur peut-être un soupçon davantage inquiet. « Et alors, rien », répond le patron.

Face à cette puissance et à son bras armé gouvernemental, la gauche politique, syndicale ou associative est aujourd’hui bien démunie. Faire front, demande Vent d’Ouest ? Des fronts, il s’en crée fréquemment, sur tel thème, tel projet de loi, telle privatisation, rampante ou non, telle atteinte, et ce n’est pas ce qui manque, aux libertés. De tailles et de configurations différentes, ces fronts ne dépassent guère le temps de la lutte sur le sujet qui les a constitués. Luttes souvent perdues, parce que ne s’appuyant pas sur une vision globale et alternative d’un projet de société, et aussi, ne le cachons pas, parce que bien souvent des calculs boutiquiers, des réticences dignes de rougissantes rosières (l’image et les couleurs ne sont pas fortuites) embroussaillent les chemins. L’articulation du politique et du social est souvent compliquée. Les récentes polémiques entre des syndicats et le NPA en sont une illustration parmi bien d’autres.

Cela pose la question d’un projet partagé pour la gauche. Son maître mot doit être, à mon sens, l’émancipation. Un mot qui ne fera sans doute pas vibrionner d’enthousiasme les experts de la com’. Pas vendeur, diront-ils, d’ailleurs, il n’existe pas de Parti Emancipateur. Au-delà de trois syllabes, le consommateur politique débraye. N’ont pas tort, les communicants. Mais il demeure qu’un projet de gauche doit être avant tout émancipateur. Quand André Chassaigne parlait de l’utilité sociale du politique, ne traduisait-il pas la même idée. Cette idée-là peut être partagée largement, du moins tant qu’elle demeure une idée. C’est quand on commence à en aligne les conséquences que les difficultés peuvent apparaître.

Les conditions de l’émancipation, nous en avons une idée : une éducation et une culture accessibles à tous, des conditions de vie et de rémunération décentes pour tous. Jusque là, tout va bien. Même Sarkozy est capable d’être d’accord.

Mais ces conditions suppose l’existence et le renforcement de services ou de contrôles publics, touchant justement à la culture, à l’éducation, aux conditions de vie (santé, logement, transports publics, services bancaires de base, nourriture, non-discriminations…), aux rémunérations (salaires, donc réductions des inégalités de revenus, emploi retraites…). L’Etat ne peut pas tout, entend-on à droite et a gauche. C’est exact et c’est heureux : l’Etat qui pourrait tout, ce serait le totalitarisme. Mais l’Etat démocratique doit, ce qui est différent de « peut » assurer à chacun les conditions préalables à l’émancipation des citoyens que nous avons indiquées précédemment. C’est tout de même à la portée d’un pays tel que le nôtre, qui compte, globalement, pas individuellement, parmi les plus riches de la planète. Et cela sans mettre en cause les nécessaires solidarités avec les peuples les plus défavorisés. Sur l’application de la notion de service et de contrôle public, les partis de la gauche divergent. Les privatisations de l’époque Jospin ne sont pas si anciennes. La phrase de Michel Rocard (« l’Etat n’est pas fait pour produire ») n’est pas oubliée (que n’eût-il dit « l’Etat n’est pas fait pour tout produire).

Ce qui doit guider le service et le contrôle public, c’est l’intérêt général. Mais qui le définit ? Se pose ici la question de l’articulation entre les élus d’une démocratie représentative et la population. Une minorité d’élus, souvent cumulards de mandats, jette un opprobre immérité sur une majorité qui travaille au plus près des électeurs. Les associations, élément précieux, se présentent parfois comme représentatives de tel ou tel projet collectif ou de telle ou telle revendication. Chacun doit raison garder : dans une société où la modestie n’est pas la vertu la mieux partagée, on rappellera qu’une organisation n’est représentative que de ses adhérents, ce qui n’est déjà pas si mal. Bref, l’intérêt général doit être sans cesse soumis à l’avis de citoyens. Un exemple d’actualité : la Poste doit-elle demeurer un service public ? C’est une question d’intérêt général, la population doit être consultée. Ce ne sont pas les parlementaires, dont la légitimité n’est pas ici remise en cause, qui sont en situation de décider sur un tel sujet, dans la mesure où aucun d’entre eux n’avait mis cette question dans ses engagements électoraux. Un projet émancipateur ne peut se construire que dans une société où le respect de l’autre est une valeur partagée. Or, la pensée dominante est celle d’une société de compétition. On peut gloser à l’infini sur le « respect de l’adversaire », les sportifs sont intarissables sur le sujet (mais parfois moins sur le terrain ou à se abords). Il n’empêche : la compétition généralisée, surtout si l’argent s’en mêle, est incompatible avec la solidarité. Traduction concrète, par exemple : l’Union Européenne aurait bien davantage besoin d’un commissaire à la coopération que d’un commissaire à la concurrence. Autre exemple, à propos des hauts niveaux de rémunérations de quelques minorités : la concurrence nous y oblige, se lamente, larmes de crocodile aux yeux, le Medef, sinon, nos meilleurs éléments partiront à l’étranger. Comment ? Que dites-vous là ? Nous pourrions perdre ou aurions pu perdre des Serge Tchuruk, le génial inventeur de l’industrie sans usine, des Daniel Bouton, ce génie de la banque ? et tant d’autres responsables de désastres industriels et financiers ? Bon vent, messieurs, la France, fidèle à ses traditions d’ouverture sur le monde, les offre à nos concurrents internationaux. Le même refrain est entendu à propos des bonus des traders. Le trading est une activité économique totalement parasite, qui n’a aucune utilité sociale (au contraire, même) Que nos « meilleurs » traders aillent exercer leurs martingales casinotières ailleurs, bon vent encore. A ce sujet, courte parenthèse : il est urgent que les partis de gauche défendent la stricte séparation entre banques d’affaires et banques de dépôt. C’est une œuvre de salubrité publique, et un moyen de lutte nécessaire, même si pas suffisant, contre les dérives spéculatives à venir. La création d’un pôle financier public fort (et pourquoi pas le contrôle public des banques de dépôt, qui ont une mission d’intérêt général), la remise sur les rails des valeurs coopératives du secteur bancaire et assuranciel de l’économie sociale sont d’autres outils qu’il conviendra de mettre en place.

Le respect, c’est aussi le maintien et le développement de la laïcité. Pas de la laïcité « ouverte » ou fermée, de la laïcité tout court (comme le disait Mario Soares à propos du socialisme au lendemain de la « révolution des œillets » portugaise, et avant de mettre en œuvre un socialisme… très court.

Penser une alternative crédible à la droite ne peut se faire sans un examen de l’état de protagonistes possibles. Qui, aujourd’hui, s’oppose à Sarkozy ? Le Parti Socialiste, longtemps hégémonique à gauche est maintenant, restons soft, troublé, et de fait idéologiquement divisé. La mouvance écologiste (Verts, Europe Ecologie) se sent des ailes après son bon score européen. Mais on sait d’expérience que l’élection européenne a été généreuse en succès sans lendemain (Tapie, Pasqua…). De plus, cette mouvance est traversée, à l’instar du PS, par des divergences sensibles : Bové et Cohn-Bendit, ce n’est pas pareil, même si on prend en compte la versatilité du premier. Le Front de Gauche, prémice d’un rassemblement entre le Parti Communiste, le Parti de Gauche, Unir à Gauche (dissidents du NPA) et quelques autres, a fait une percée, modeste mais prometteuse, lors des élections européennes. Survivra-t-il à l’épreuve des élections régionales ? Si ce n’était pas le cas, ce serait une démonstration supplémentaire de l’incapacité des partis à faire primer le collectif sur leurs intérêts particuliers. Enfin, les centristes du MoDem gauchisent, modérément, leur discours, font des offres de dialogue. Sont-ils sincères dans cette évolution, se demandent certains. La question n’est pas là. Demander un brevet de sincérité à un parti politique, c’est les condamner, tous, à la dissolution. Non pas qu’ils mentent constamment, bien sur, mais les jeux tactiques leur sont consubstantiels, il faut faire avec. Ce n’est donc pas la sincérité qui est en cause, mais la compatibilité des propositions des uns et des autres. On ne peut s’allier qu’avec des partenaires qui ne nous sont pas semblables, rappelait récemment Hervé Lecrosnier, qui a bien raison : sinon, on s’allie avec soi-même, ce qui a une portée limitée.

Ce petit tour d’horizon fait, on peut constater que nous sommes loin de la constitution d’une alternative crédible. Cela tient en partie à l’histoire, riche et pauvre à la fois de ses diversités, de la gauche française, en partie, non négligeable, au régime présidentiel de fait, qui subordonne tout à l’élection du président, et fait qu’un parti sans candidat n’existe pas vraiment. Et en partie aux considérations d’appareils, dont certains sont compréhensibles, voire respectables, même si elles favorisent les conservatismes idéologiques. Au passage, une gauche de gauche devrait supprimer l’élection présidentielle au suffrage universel, ou, a minima, réduire considérablement les pouvoirs du président, comme c’est le cas, rappelle João Silveirinho au Portugal.

Après ce constat peu réjouissant, peut-on penser que les élections régionales pourraient constituer une étape dans la construction d’une alternative ? En l’état actuel des choses, état hautement évolutif, il semble que chacune des formations opposantes à Sarkozy suive le schéma proposé à l’élection européenne au premier tour. Le PS proposera des listes et ses offres d’ouverture au PCF, aux Verts, au PRG, au MRC voire au PG, ne risque de recueillir que l’assentiment de ces deux derniers, et encore. Le Front de Gauche persistera peut-être. Nous le souhaitons vivement : il est nécessaire d’équilibrer la gauche entre « sociaux-libéraux » et « gauche de gauche ». Nous ne souhaitons pas un effritement du vote PS (celui-ci a prouvé qu’il est capable d’y parvenir tout seul), mais une progression du Front de Gauche, telle est la condition d’une victoire électorale Les Verts paraissent décidés à faire cavalier seul. Le NPA se tâte : tout seul ou accord avec le Front de gauche ? Le Modem pense présenter ses propres listes. Il est à prévoir des distorsions entre les consignes nationales et les situations locales : tant au PS qu’au PCF, les leaders locaux échappent en grande partie au consignes nationales, si tant est qu’elles soient fermes. Et on peut comprendre les hésitations du PCF, avec ses 180 élus sortants sur des listes d’union avec le PS. Comprendre ne veut pas dire approuver.

Le deuxième tour peut-il favoriser des rapprochements ? Beaucoup de commentaires concernent un éventuel rapprochement entre PS et MoDem. Vous voulez notre avis ? Cela nous fait penser à cet humoriste à qui on demandait ce qu’il pensait du mariage des prêtres et qui répondit : bof, s’ils s’aiment. D’éventuelles fusions entre PS et Front de Gauche sont probables, mais pas certaines. Bref, la séquence risque d’être peu productive pour ce qui concerne la construction d’un projet commun.

Il convient toutefois de ne pas désespérer. Des convergences existent, des dialogues se nouent. Si des liens plus étroits peuvent être liés entre partis, syndicats, associations, citoyens dans la construction d’un projet commun, l’espoir est permis. Rappelons aussi que le temps est révolu des partis régentant un pré carré idéologique. Entre, mettons, l’extrême gauche et le Modem, il n’y a pas discontinuité de la part des citoyens. Il y a par exemple moins de distance entre Manuel Valls et Marylise Lebranchu, tous deux députés PS qu’entre la même Marylise et André Chassaigne, député PCF. Les frontières partidaires sont donc relativement artificielles, en tout cas poreuses, ce qui ne veut pas dire que tout se vaut.

Restera toutefois un obstacle épineux : trouver « la » personne crédible, consensuelle suffisamment, médiatique ce qu’il faut (soyons en effet réalistes) pour incarner un projet alternatif. C’est la rançon du régime présidentiel, qu’il faut malheureusement payer.

*Ce texte est une remise en forme par l’auteur des notes préparées pour son intervention aux 3es rencontres de Vent d’Ouest à Lorient.


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